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Tous deux ont laissé des traités de fortification qui font époque dans l’histoire de l’art. Ce fut aux idées du comte de Pagan que Vauban s’attacha d’abord, non point parce que ce maître était le dernier venu, mais parce qu’il était réellement en progrès sur l’autre. L’originalité hâtive n’est pas toujours le signe de la vraie distinction d’esprit. Vauban commença par « paganiser[1] ; » mais s’il crut devoir suivre en général, dans ses premières œuvres, le tracé du comte de Pagan, ce fut en disciple intelligent, sans imitation servile. Le tracé à part, c’est dans le choix des sites et dans l’heureuse disposition des ouvrages que Vauban s’est montré d’abord original ; C’est là surtout qu’il a eu le génie du bon sens. Sur cent soixante places qu’il a faites ou refaites, il n’y en a pas dix qui soient parfaitement régulières ; pour toutes les autres, ce sont les accidens du sol, c’est la situation d’une ville déjà considérable, c’est le dessin d’une ancienne fortification, c’est l’obligation d’épargner la dépense, ce sont toute sorte de nécessités physiques et morales que Vauban a dû respecter et subir ; ce sont autant de problèmes qui ont exigé des solutions différentes, et pour chacun desquels il a imaginé la solution la meilleure, c’est-à-dire la plus simple et la plus accessible à toutes les intelligences. Ses projets sont clairs, bien ordonnés, bien expliqués ; dans ses mémoires, point de formules ni d’appareil scientifique : les seuls élémens de la géométrie suffisent à qui veut les comprendre. « J’ai souvent ouï dire à M. de Vauban, rapporte le disciple dont nous avons déjà cité le témoignage, que ce qui servit le plus à le rendre recommandable auprès de M. de Louvois et de MM. Colbert et de Seignelay dans le commerce continuel qu’il eut avec ces ministres au sujet de la fortification, ce fut de s’expliquer par des plans, des profils et des mémoires détaillés et raisonnés jusqu’aux plus petites choses. Cette manière de conférer, continuait-il, rendit en peu de temps M. de Louvois si habile dans la fortification qu’il y avoit peu d’ingénieurs qui en sussent autant que lui[2]. » Cette méthode avait encore un autre avantage, c’était de faire au plus juste l’estimation des dépenses et de prévenir d’autant la fraude. « J’ose vous promettre, écrivait Vauban à Louvois, au sujet d’un de ces mémoires estimatifs, j’ose vous promettre que je réduirai les travaux dans un si bon ordre et dans une si grande netteté qu’il sera très malaisé aux fripons d’y mettre la griffe mal à propos. »

Le chevalier de Clerville n’avait pas à beaucoup près la même préoccupation. Il était de ces contemporains du cardinal Mazarin

  1. Le mot est de Vauban.
  2. Thomassin, t. Ier, p. 119.