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philosophie circonspecte à l’excès, ennemie de toute spéculation métaphysique, n’admettant que les faits constatés, avec leurs rapports, c’est-à-dire leurs lois ; de l’autre, une philosophie idéaliste, ne pouvant consentir à trouver dans les phénomènes les derniers élémens de l’être et de la vie, pénétrant au-delà pour y découvrir la cause, la substance, l’infini, — l’une tout imprégnée de l’esprit des sciences positives, n’admettant que ce qui est démontré et vérifié, l’autre inspirée des hardiesses de l’esprit allemand, mais tempérée par les lumières et la mesure de l’esprit français, — l’une enfin à la recherche du positif, l’autre à la poursuite de l’idéal. Telles sont les deux philosophies opposées (malgré certains traits communs) que représentent aujourd’hui parmi nous deux esprits éminens, recommandables entre tous par la science, par la sincérité, par le sérieux, par l’absence de tout charlatanisme, M. Littré et M. Vacherot. Un examen rapide de ces deux philosophies complétera l’étude que nous nous sommes proposée.


I

Il est juste de reconnaître que la philosophie positive s’est beaucoup améliorée dans ces derniers temps : elle s’est affranchie des utopies ridicules qui la déconsidéraient aux yeux des bons esprits ; elle a rejeté, d’une part, sa religion humanitaire, de l’autre sa politique dictatoriale, legs du saint-simonisme dont elle n’avait que faire, et elle s’est réduite à sa véritable idée, la généralisation des données scientifiques fournies par les sciences positives. Sur ce terrain solide, elle appelle et exigerait une sérieuse discussion ; quelques mots pourront suffire à l’objet de cette étude.

Lorsque l’on considère la science contemporaine du dehors et sans être initié à son esprit et à ses tendances, lorsque l’on parcourt les feuilles scientifiques, les comptes-rendus des académies, et ces comptes-rendus moins sévères que le goût public recherche aujourd’hui, et qui partagent avec le roman et le théâtre l’honneur du feuilleton ; lorsque d’un autre côté on lit ou du moins l’on consulte les innombrables ouvrages où la science essaie de se rendre populaire et d’expliquer à tous les merveilleuses inventions qu’elle a suscitées, et que tout le monde connaît, lorsqu’enfin l’on voit se produire à. la fois tant de faits minutieux et tant de découvertes utiles, on est tenté de croire que les deux caractères les plus saillans des sciences à notre époque sont l’esprit d’analyse poussé à ses dernières limites, se perdant dans une sorte d’éparpillement à l’infini, et l’esprit pratique, le goût des applications utiles, dédaigneux de toute tendance spéculative un peu élevée. Tel est, je le