Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/698

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il faut donc se résigner à compter avec la couronne. Toutefois ce qui caractérise le régime actuel, c’est que la couronne n’est plus qu’une des forces constitutives du pays, au lieu d’être la force absolue. Maintenant que penser de celui qui la porte ? que penser de l’empereur ?

En parlant des douze années qui ont suivi son avènement, j’ai exprès évité de nommer l’empereur, car il a pendant ce temps moins agi sur les choses qu’on ne trouve naturel de le croire. De 1848 à 1860, l’empereur a laissé à ses ministres beaucoup plus d’autorité qu’on ne le pense, aimant mieux, en présence de si déplorables résultats, décliner toute part de responsabilité. De 1848 à 1860 s’accomplit la première période de l’éducation de l’empereur, il apprit alors à voir ce qu’il lui faudrait répudier. On se tromperait fort à croire qu’après la campagne de 1859 les réformes libérales fussent devenues urgentes, ou qu’il y eût eu danger à ne les pas décréter. Urgentes, oui, sans doute, depuis un demi-siècle, mais non plus urgentes en 1859 qu’en 1856 ou en 1852, et le gouvernement ne courait aucun risque à ne pas les accorder, car cette absence de vie et de passion que j’ai déjà signalée écartait tout danger pressant en amortissant l’énergie naturelle. Aucune crainte de l’évolution ne talonnait l’empereur, mais s’il a pris l’initiative des réformes de 1860, c’est qu’il a senti que cette absence même de mouvement était un danger pour l’empire. Il a voulu lui rendre l’air et la vie, et il n’est que juste de lui en savoir gré.

Ce qui est certain encore, c’est que la Providence n’a pas prodigué inutilement ses leçons à François-Joseph, car s’il y a un mot que l’on puisse dire en toute conscience, c’est que l’empereur a beaucoup appris. Depuis le grand Maximilien, la confiance en soi vient tard aux princes de la maison de Habsbourg, et il y a bien eu des momens où Marie-Thérèse elle-même, avant de suivre sa simple et toujours heureuse inspiration, se trompait en prêtant trop de foi à l’avis de conseillers qui ne la valaient pas. Cette méfiance-là est aussi, je crois, au fond de certaines hésitations de l’empereur François-Joseph. Ce qu’il importe de constater, c’est que là où il ose enfin suivre son inspiration, il touche juste, et que là où il a pu se décider à l’action, il agit vite. S’il ne possède point à l’état de don la divination immédiate des hommes, on peut dire qu’à la longue rien ne lui échappe, et que sous cette apparente lenteur se cache une grande justesse de jugement, un sens de parfaite modération. Cette faculté de peser lentement ses actes et de les exécuter promptement est de nature à inspirer quelque confiance à ceux qui se font le moins d’illusions sur la gravité de la situation de l’Autriche.

Une des plus sérieuses difficultés de cette situation pour l’empereur comme pour le pays lui-même, c’est encore l’isolement. L’Au-