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triche vit moralement isolée, tout s’y passe trop en dehors de ces courans d’opinion publique dont on ne mesure la profondeur et qu’on ne cesse de redouter qu’en s’y plongeant. Il semble que les traditions du vieux temps ne s’éloignent qu’à regret de cette terre où tant de gens s’entêtent encore à ne pas reconnaître quelle cause d’infériorité c’est pour un pays de vouloir à toute force vivre autrement que tout le monde. Quand on arrive des grands centres de l’activité humaine, de Paris pu de Londres, on est toujours consterné de voir combien peu l’habitant de Vienne se rend compte de l’estime de l’étranger pour l’Autriche : il croit à de l’hostilité, ce qui n’existe pas ; mais il s’abuse totalement sur la cause de la désapprobation ; raisonnée qui le frappe. Il ne se doute pas par exemple que pour l’Anglais, jusqu’à ces derniers temps, l’Autriche, au point de vue des affaires, demeurait une terre inconnue. L’Anglais déplorait qu’il en fût ainsi ; mais ce qu’il y a de parfaitement sûr, c’est qu’il refusait de jamais croire que cela pût être autrement. Je n’oublierai de ma vie la surprise et l’incrédulité polie, bien qu’absolue, avec lesquelles mon ami M. Glyn m’écouta lorsqu’il y a deux ans et demi je lui développai mes raisons de croire à l’avenir de l’Autriche. Proposer un pareil terrain aux opérations du capital anglais, qui avant tout cherche la vie (et qui par exemple inonde l’Italie, parce que l’Italie éclate de sève et de vie), proposer un pareil terrain à un aussi pratique esprit, c’était vouloir se faire prendre pour un habitant de la lune. Aussi, quand la banque anglo-autrichienne vint prouver par son succès que les sources du crédit n’étaient point taries en Autriche[1], ceux qui avaient conseillé cette création. purent-ils se souvenir qu’ils avaient passé dans la Cité de Londres pour des insensés. Il ne faut pas aujourd’hui essayer de se soustraire à aucune des obligations de la vie commune. Tout est solidaire de notre temps, rien ne peut se séparer de la masse, et vouloir vivre pour soi c’est vouloir diminuer sa vie d’autant. Se faire estimer très haut par d’autres pays, c’est augmenter son crédit, et la sympathie, le respect que l’Autriche pourrait aisément inspirer à l’Europe, l’Europe les lui rendrait à beaux deniers comptans. Cela peut sembler prosaïque et d’un terrible positivisme, mais c’est de toute vérité, et il importe à l’Autriche de l’apprendre.

« Qui ne fait pas tout son devoir ne fait pas son devoir du tout, » dit un proverbe britannique, dont l’Autriche jusqu’à ce jour ne s’était pas doutée. On a tant de confiance dans les ressources infinies du sol, dans les capacités du pays, que l’idée de s’aider soi-

  1. Dans sa première année d’existence, la banque de Vienne a vu passer entre ses mains plus de 400 millions de florins (800 millions de francs), fruits de la confiance publique.