Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voulut pas abjurer la foi protestante. « L’exemple du roi, disait-elle, est une loi pour moi, mais en ce qui ne touche pas la loi de Dieu. Je sais sur ce point où doit aller mon obéissance. » Elle partit pour la Lorraine avec son époux, mais l’on raconte qu’elle s’évanouit en disait adieu à son frère, « qui pleura fort aussi. »

C’était le moment où, arrivé après la plus aventureuse carrière au terme de ses espérances et monté, comme il le disait lui-même, « sur son char triomphant, » Henri IV, malgré ses succès, se sentait moins heureux qu’aux jours troublés de sa jeunesse. Ce grand souverain, si profondément national de cœur et de pensée, ne faisait que des mécontens et des ingrats. Entouré de courtisans ambitieux et brouillons, il ne se conciliait ni les ligueurs, péniblement ramenés aux devoirs de l’obéissance, ni les calvinistes, ses anciens compagnons d’armes. La petite phalange protestante, qui avait si vaillamment combattu sous le panache blanc, s’attristait de voir le Béarnais accorder sa faveur aux hommes de la journée des barricades, traiter avec considération la duchesse de Montpensier, recevoir le fougueux curé Lincestre, Lincestre l’apologiste de Jacques Clément, le prédicateur-tribun qui, du haut de la chaire, avait appelé Catherine de Bourbon « la Jézabel française, le démon sorti des montagnes. » Tourmenté dans sa vie privée et environné de trahisons, Henri IV était souvent atteint d’une tristesse silencieuse. Il perdait chaque jour cette verve de bonne humeur, ces saillies spirituelles qui lui avaient fait tant d’amis. La gaité béarnaise était remplacée par la gravité castillane. Le plus français de nos rois demandait à Antonio Perez des leçons d’espagnol et endossait le costume sombre de Philippe II. Parvenu au faîte des grandeurs, il regrettait les glorieuses misères de sa jeunesse, les jours où, « roi sans royaume, mari sans femme, capitaine sans argent, » il se plaignait de son pourpoint percé au coude et de ses souliers ressemelés. Souvent il s’entretenait de l’ingratitude humaine. « Je mourrai un de ces jours., disait-il, et quand vous m’aurez perdu, vous connaîtrez tout ce que je valais. »

Cependant, au milieu de ses inquiétudes et de ses soucis, l’affection de sa sœur lui restait. Elle lui adressait des lettres empreintes d’une respectueuse tendresse. « Mon Dieu ! mon brave roi, lui écrivait-elle, que j’ai envie de vous voir, et quand aurai-je cet honneur et ce contentement de pouvoir vous embrasser, les yeux aussi gais que je les avais pleins de larmes quand je pris congé de vous ? » Une sorte de fatalité obligeait Henri IV à troubler le repos de cette sœur si noble et si dévouée, sa plus digne, sa plus fidèle amie. Les foudres du Vatican n’étaient pas émoussées, et le roi, qui avait courbé la tête devant Rome, s’étonnait qu’une femme résistât. Il usait de tout son pouvoir pour essayer d’arracher à Catherine une abjuration, et la malheureuse princesse, tourmentée à la fois par le cri de sa conscience, par la crainte d’encourir la disgrâce de son frère et, de causer le malheur de son époux, était plongée dans le désespoir. Son mari, le duc de Bar, lui témoignait une affection sincère ; mais il était si profondé-