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ment inquiet des censures de l’église qu’il parlait quelquefois d’échanger son titre de duc contre l’existence d’un disciple de saint François d’Assise. Aux premiers jours du XVIIe siècle, un jubilé s’ouvrait à Rome. Le prince s’y rendit comme un simple pèlerin, dans l’espoir de fléchir Clément VIII ; mais le pape refusa la dispense tant désirée. Lorsque Catherine vint à Fontainebleau pour la naissance du dauphin, il y eut encore des conférences de théologiens qui essayaient de la convertir. « Je sais bien que ma religion vous est préjudiciable, dit-elle alors à Henri IV ; laissez-moi donc retourner en Béarn, où du moins je n’importunerai personne et vivrai tranquille. » Un jour que les théologiens venaient de parler de Jeanne d’Albret ; « sire, s’écria-t-elle, ils veulent que je croie que notre mère est damnée. » Henri se détourna pour cacher ses larmes. « C’en est assez, mon frère, dit-il au duc de Bar, je renonce à la dompter. »

Peu de temps après, les dispositions du saint-siège parurent plus favorables ; mais le chagrin avait détruit la santé de Catherine de Bourbon. « Ah ! mon cher roi, écrivait-elle dans sa dernière lettre à son frère, je crois que la cruelle douleur que je ressentis en vous disant ce mot d’adieu est cause du mal que j’ai. » Le pape venait enfin d’accorder cette dispense si longtemps sollicitée ; mais au moment où le bref arriva en Lorraine, Catherine avait cessé de vivre. Elle n’était âgée que de quarante-cinq ans. L’historien, de Thou raconte que, le nonce exprimant à Henri IV les craintes du pape sur le salut de cette princesse, morte hors du sein de l’église, Henri IV répondit qu’il fallait croire, pour penser dignement de Dieu, que le moment même où l’on rend le dernier soupir suffit à la grâce divine pour que « le pécheur, quel qu’il soit, devienne en état d’entrer dans le ciel. — Je ne mets point, dit-il, le salut de ma sœur en doute. »

La tolérance était encore bien loin de l’esprit de l’époque. Ils étaient rares alors, les hommes qui disaient, comme le chancelier de L’Hôpital : « Otons ces mots diaboliques, noms départis et de séditions, luthériens, huguenots, papistes ; ne changeons le nom de chrétiens. » Henri IV devançait son temps aussi quand il écrivait : « Ceux qui suivent tout droit leur conscience sont de ma religion, et moi je suis de celle de tous ceux-là qui sont braves et bons. » Sans doute, les passions religieuses ne furent pour la plupart des acteurs principaux de ces luttes violentes que le masque de l’ambition et de l’intérêt, et la réforme n’oublia que de se réformer elle-même. Cependant, parmi les catholiques comme parmi les protestans, il y avait de nombreux exemples de convictions profondes, par conséquent respectables, et bien des consciences eurent à subir les mêmes tortures morales que Catherine de Bourbon. Nous qui vivons dans un siècle où la liberté de conscience paraît être une conquête définitive de l’esprit humain, nous ne devons oublier ni les luttes secrètes ni les angoisses intimes qui firent à d’autres époques le tourment de certaines âmes.


IMBERT DE SAINT-AMAND.


V. DE MARS.