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surpassé, les travaux de tous les siècles antérieurs. Cependant ceux qui suivent d’un œil attentif la direction des grands courans intellectuels ont remarqué que cette ardente curiosité excitée par les beautés, les secrets et les mystères du cosmos, comme le nommaient les Grecs, commence à subir une transformation profonde. A la passion de l’analyse succède le besoin de la synthèse : après avoir cherché et fouillé les plus imperceptibles détails, on éprouve le désir d’embrasser l’ensemble. Naguère encore on n’estimait que les faits bien observés, et l’on s’arrêtait à la détermination des lois qui les gouvernent; on accueillait en souriant les discours des penseurs naïfs qui se flattaient d’être allés un peu plus loin. Aujourd’hui, tout en interdisant la métaphysique aux autres, on se la permet à soi-même. En un mot, il se forme et s’élève de divers côtés des essais, des ébauches, parfois des systèmes réguliers de ce qu’on appelle depuis cinquante ans philosophie de la nature. Ce mouvement se prononce de plus en plus, et atteste une tendance sérieuse dont il est impossible de ne point tenir compte. Peut-être cette tendance est-elle plus ancienne qu’on ne pense. Peut-être les philosophes de profession n’y ont-ils pas assez tôt pris garde, quoique plusieurs d’entre eux aient isolément participé à ce mouvement nouveau. C’est pourtant à eux de prêter l’oreille, afin d’entendre à propos les interrogations de l’esprit contemporain, et de lui indiquer au moins les œuvres où il rencontrera quelques-unes des réponses qu’il cherche. Autrement il va au hasard et néglige les travaux profonds et longuement médités pour se jeter sur des théories improvisées ou paradoxales.

Par exemple, à l’égard de l’explication philosophique de la nature, et en ce qui touche les problèmes relatifs à l’essence de la matière, de la force, de l’espace, du temps, combien de gens s’imaginent qu’on n’a le choix qu’entre la théorie positiviste, qui dénie à la raison toute connaissance des causes, et le matérialisme, qui ramène toutes les causes à une seule : l’atome doué de mouvement ! Combien vont répétant que les penseurs des autres écoles, obstinément renfermés dans leur moi solitaire, et volontairement étrangers au mouvement des sciences physiques et chimiques, sont incapables d’ouvrir la bouche ou de rien dire qui ait une valeur quelconque sur les plus admirables phénomènes de l’univers! Peut-être même s’est-il trouvé quelque critique assez instruit pour accuser le spiritualisme de nier l’existence de la matière et des corps. La vérité est que, depuis quarante ans, ni l’idéalisme allemand, ni ses rejetons français, ni le spiritualisme proprement dit, n’ont renoncé à savoir quelque chose de ce vaste et harmonieux ensemble d’êtres qu’on nomme la nature. Tout au contraire, se rapprochant de jour