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abaisse, qu’elle avilit. Comment le goût des grandes choses ne se perdrait-il pas à la longue dans la fréquentation de ces vulgaires entretiens où sont en jeu, non plus des doctrines comme en d’autres temps, mais des anecdotes et des noms propres? Quand la littérature de personnalités triomphe quelque part, c’est un signe infaillible que la littérature d’idées décline. Le public ne peut à la fois servir deux maîtres. Il faut qu’il fasse son choix entre les plaisirs subalternes de la curiosité et les mâles voluptés de la pensée que l’on achète au prix de la fatigue et de l’effort.

La vie de l’esprit se manifestait partout à cette époque déjà lointaine dont le souvenir nous préoccupe sans cesse et à laquelle nous voudrions que notre temps empruntât quelques-uns de ses goûts sérieux. L’enthousiasme est en soi une si belle chose qu’il vaut mille fois mieux en être capable, dût-on même être dupe! Ne me parlez pas de ces désenchantés qui craignent toute surprise d’émotion ou de pensée à l’égal d’une mystification. Leur expérience sénile avant l’âge n’est au fond que la sécheresse du cœur et l’impuissance d’aimer une idée parce qu’ils sont incapables de la comprendre. — Quelle passion et quelle foi littéraire palpitaient dans le cœur de la jeunesse à l’époque des grandes luttes entre les écoles, du temps qu’il y avait des écoles, quand on se partageait entre les classiques et les romantiques, quand on discutait sur les droits de plus en plus triomphans de la poésie personnelle, intime, de la poésie lyrique, — ou bien encore quand on opposait aux nobles attitudes de la tragédie antique, à ses solennelles douleurs, à la pitié héroïque, le pathétique terrible et le vivant tumulte du drame moderne! On disputait, on s’irritait, donc on croyait à quelque chose. On dispute et l’on s’emporte encore aujourd’hui, nous dit-on; mais est-ce au foyer de la Comédie-Française, au sujet d’un rôle nouveau de Talma? Non, c’est dans un théâtre infime à propos de quelque travestissement dans une bouffonnerie à la mode, à l’occasion de quelque vulgaire idole.

N’insistons pas et craignons de nous égarer hors des régions philosophiques où nous voulons maintenir cette analyse. D’un autre côté de l’horizon, quelques symptômes plus heureux ont paru se montrer. Il en faut tenir compte dans une juste mesure. Nous avons tous été témoins dans ces dernières années d’un prodigieux mouvement vers l’instruction populaire et vers l’enseignement mondain; il y a eu la plus louable émulation entre les hommes de bonne volonté de tout rang et de toute origine pour propager et répandre des vérités scientifiques ou des idées littéraires au-delà du cercle où elles s’arrêtaient auparavant, pour aller atteindre par des cours, par des conférences de toute sorte, les classes laborieuses dans la fatalité de leur ignorance, les classes oisives dans leur désœuvre-