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ment du soir. Sur tous les points de la France, dans plusieurs quartiers de Paris, des chaires se sont élevées comme par miracle, remplies avec un grand zèle, entourées d’un nombreux concours d’auditeurs. Voici pourtant ce qui m’a paru se dégager de cette vaste expérience sur la curiosité publique. Les classes populaires ont compris tout de suite que leur intérêt était là; elles sont accourues sérieuses et résolues à faire l’effort d’esprit que tout maître digne de ce nom doit demander à ceux qui l’écoutent. Elles sont venues chercher dans ces leçons du soir le complément de la première instruction, défectueuse par tant de côtés ou déjà effacée sous le travail manuel et l’âpre souci de chaque jour. Rien n’est plus touchant que de voir ces ouvriers de tout âge, après les longues heures occupées à tisser le coton ou à battre le fer, se reposer en traçant des lettres grossières de leur main calleuse, en appliquant leur rude intelligence à suivre une leçon de calcul ou l’explication de quelque loi scientifique qui doit rendre le travail plus facile et plus productif, enfin en essayant de comprendre et de s’approprier ces notions d’économie politique qui les éclairent sur leurs vrais droits, inséparables de leurs véritables intérêts. De ce côté il y a eu grand profit, et tous les honnêtes gens espèrent que nous verrons se développer de plus en plus cette institution, déjà consacrée par la reconnaissance du peuple; mais pouvons-nous dire la même chose des autres classes sociales et louer la direction, l’impulsion qu’elles ont données à la parole publique de quelques-uns de leurs maîtres improvisés, en leur indiquant trop clairement leurs préférences pour certains sujets, leur inclination pour certaine nature de talent ou certain tour d’esprit? Je craindrais de passer pour un censeur morose, si je disais tout ce que je pense à cet égard. Là encore cependant le goût public s’est-il montré suffisamment sérieux? N’a-t-il pas dévoilé son incurable mollesse, sa répugnance pour tout ce qui exige un effort, si faible qu’il soit, d’attention ou de gravité? On aura un jour à lui demander compte d’avoir cherché là comme ailleurs une distraction piquante plutôt qu’un réel profit, d’avoir trop souvent détourné les maîtres de cet enseignement de leur vrai devoir, qui est d’élever la raison, les idées de l’auditoire, au lieu de s’abaisser au niveau de sa frivolité, de lui inspirer des sentimens nouveaux au lieu de s’inspirer des siens, de se faire enfin ses conseillers, non ses complices ou ses complaisans. On s’attendait à une action salutaire exercée de l’orateur sur l’auditoire. C’est trop souvent le contraire qui a eu lieu : l’action s’est exercée de l’auditoire sur l’orateur, et l’on a vu par fois l’instituteur volontaire se transformer en amuseur public. On a pu croire à certains jours qu’on avait affaire à des virtuoses de l’esprit fort indifférens sur le fond des choses, pourvu qu’ils plaisent, et qu’ils