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soulèvent autour de leur chaire le murmure des flatteuses exclamations ou des rires approbatifs comme au théâtre. On s’attriste à voir l’usage plus ou moins plaisant qui peut se faire de ces entretiens publics, changés insensiblement en un divertissement d’esprit, en une sorte de joute sophistique, en exercices et jeux de paradoxes, jetés comme une amorce à de vulgaires ennuis. Pour qui une seule fois a senti la beauté et la grandeur de la parole humaine, pour qui en a éprouvé les fortes influences ou porté le noble péril et la dignité devant le public, ce sont là d’insupportables abus et presque des profanations.

A mon avis, la parole publique ne doit jamais devenir une curiosité. Elle est un devoir. Qu’elle s’applique à la discussion ou à l’enseignement, elle est une fonction, une des plus hautes fonctions de l’esprit. Elle doit servir à la propagation d’une vérité, à l’excitation de quelque noble sentiment, à la revendication d’une grande cause. Quand elle n’est plus soutenue par une doctrine, par une passion, par un intérêt d’un ordre élevé, elle tombe au-dessous de tout, dans la région des plaisirs les moins nobles. La pire corruption de la parole, c’est de la faire servir à l’amusement de la foule. Elle est le premier des arts humains, quand on la respecte; elle en est le dernier, quand elle descend à cet emploi. Pessima optimi euusque corruptio. Je ne connais rien de plus triste à imaginer que l’effort d’un homme d’esprit qui comparaîtrait devant la foule avec l’intention visible de lui complaire en toutes choses et de la divertir. Je me demande quelle différence il y aurait entre le personnage qu’il jouerait ainsi et celui du comédien. S’il y a une différence, elle est toute en faveur du comédien, qui ne livre au plaisir de la foule que son personnage extérieur, les jeux de sa physionomie, les effets plaisans de ses gestes ou de sa voix; mais que dire de celui qui tire du fond le plus intime de ses idées ou de ses sentimens l’amusement de son public, livrant ainsi l’homme intérieur, l’homme tout entier à ce théâtre d’un nouveau genre? Elles n’entendaient pas ainsi l’emploi de la parole, les généraiions dont nous dissipons si légèrement l’héritage, et qui entretenaient dans leurs orateurs la flamme du plus pur enthousiasme. Ils ne l’entendaient pas non plus ainsi, ces maîtres immortels qui s’étaient formé une si haute idée de la parole, inséparable pour eux des plus grands intérêts et des plus grandes causes, la vérité, la patrie, la liberté, élevant jusqu’à eux le public, incapables de lui offrir autre chose que de mâles plaisirs et d’austères délices. La parole était pour eux l’objet des plus nobles soins, l’objet d’un culte. À cette condition, ils rencontraient l’âme de la foule, qui leur don- nait la plus belle récompense dont elle dispose, l’influence, l’autorité.

J’ai indiqué par quelques traits la légèreté, l’insouciance du pu-