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de ses vagues. Déjà dans un grand nombre de fiords, cette œuvre de transformation du domaine des eaux en terre ferme a fait des progrès très sensibles, et si l’on connaissait le taux séculaire de l’accroissement du continent, on pourrait calculer approximativement l’époque à laquelle la vallée s’est trouvée libre de glaces. Sur le versant incliné du côté de l’est, vers les campagnes de la Suède, un travail analogue s’accomplit : là, les glaciers ont été remplacés, non par les flots de la mer, mais par des eaux lacustres étagées en bassins, et ces eaux reculent aussi peu à peu devant les alluvions des torrens. De même, dans la grande chaîne des Alpes suisses, plusieurs dépressions profondes qui furent autrefois les lits de puissans glaciers sont devenues des sortes de fiords continentaux : tels sont les lacs Majeur, d’Iseo, de Lugano, de Côme, de Garde. Ces bassins lacustres sont fermés au midi par de larges moraines pareilles aux « ponts de mer » de la Norvège, et leurs eaux, comme celles des fiords, sont graduellement déplacées par les alluvions qu’apportent les torrens alpins.

Situées plus au sud que les fiords de la Scandinavie, et plus rapprochées de la source du tiède courant venu des Antilles, les baies occidentales de l’Ecosse ont dû être libres de glaces bien avant les côtes de la Norvège, et c’est antérieurement encore que les échancrures du littoral de l’Irlande et de la Bretagne française ont cessé de servir de lits aux neiges solidifiées des montagnes environnantes. Quant aux rivages des îles britanniques tournés à l’est vers la mer du Nord, ils étaient certainement débarrassés de glaces depuis longtemps, car à cette époque comme aujourd’hui c’étaient les vents d’ouest et du sud-ouest qui dominaient en Europe et qui portaient sur les pentes des montagnes inclinées vers l’Atlantique l’humidité nécessaire à la formation des glaciers.

Telle est la raison du frappant contraste qu’offrent dans les îles britanniques et en Islande les côtes occidentales, toutes découpées de baies profondes, et les rivages orientaux dont les fiords sont moins accusés ou même déjà complètement oblitérés par la mer et les alluvions fluviales. De même au sud de l’Amérique, les pluies étant beaucoup plus abondantes sur le versant occidental des montagnes de la Patagonie, les glaciers sont descendus beaucoup plus bas dans les vallées, et les fiords, maintenus par les glaces dans leur état primitif, font encore de toute cette partie du littoral américain un véritable labyrinthe. C’est par les mouvemens de l’atmosphère qu’il faut expliquer la forme des continens eux-mêmes.

Après le recul des glaciers, le travail de régularisation des rivages s’opère dans les diverses contrées avec plus ou moins de rapidité, suivant la forme des continens, la profondeur des fiords et tout l’ensemble des phénomènes qui constituent le milieu géographique. En certaines contrées où les rivières n’ont qu’une faible importance, comme dans la péninsule du Danemark et dans le Mecklenbourg, les fiords se forment d’abord du côté de la mer et deviennent de longues et étroites lagunes séparées des flots