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Champ de Mars, et qu’en les éliminant on aurait fait un vide énorme dans l’enceinte et dans la caisse. Cette dernière considération est d’un certain poids ; elle explique bien des faiblesses. Évidemment les industries productives ne seraient pas si bien logées sans les contributions ingénieuses prélevées sur les industries parasites. On n’accomplit pas impunément des travaux d’Hercule, fleuves domptés et détournés de leur cours, ponts jetés sur les voies publiques, terrassemens aux flambeaux, embranchement spécial de chemin de fer, parcs et jardins improvisés sur un champ de sable. Ces merveilles ne sortent pas de terre d’un coup de baguette, comme dans les féeries ; le seul talisman qui les crée, c’est l’argent dont les industries parasites ont versé leur large part, et en retour duquel on leur a délivré, avec la jouissance d’un local, un brevet de plein exercice sur les besoins et les fantaisies du public. C’est merveille de voir quelle fière contenance y gardent les services de la bouche et dans quel ordre régulier ils s’étalent sur les fronts principaux des constructions, avec des mets et des boissons empruntés à tous les pays et offerts dans toutes les langues. Il y a là, pour les estomacs aguerris, les élémens d’une étude comparée qui se rattacherait aisément aux programmes des concours. Pourquoi pas ? pourquoi la commission impériale désavouerait-elle une œuvre si bien réussie ? Cela anime et cela rapporte : qu’exiger de plus ?

D’autres détails en revanche n’ont pas tenu ce qu’on s’en était promis ; il y a eu des divertissemens et des spectacles manques, entre autres l’exhibition de délégués de quelques nations et peuplades lointaines. L’annonce en avait été positivement faite, et les signalemens donnés. Ces délégués devaient venir dans leur costume habituel, pourvus de tout ce qui constitue leur originalité, armes de guerre, engins de pêche ou de chasse, ustensiles de travail que les curieux pourraient voir manœuvrer sous leurs mains. Il va sans dire que ce monde nomade a fait en grande partie défaut. Ce qui a pu en ceci troubler l’imagination de la commission impériale, ce sont les souvenirs des deux expositions de Londres ; mais à Londres il suffisait de jeter un coup de filet dans les docks de la Tamise pour y ramasser par centaines des Orientaux dont il n’y avait plus qu’à faire le tri. La marine anglaise, qui prend ses matelots à la cueillette, offre en ce genre une grande variété de choix ; elle loge dans ses entreponts toutes les nuances de teint et tous les tatouages ; on peut y louer à la journée ou au mois des mâouris ou des lascars et les exhiber en toute assurance ; ces gens-là ont de l’acquis et posent très bien. Paris n’est pas dans le même cas ; les quais de la Seine n’ont à aucun degré l’équivalent de la foule bigarrée d’un port de mer, et notre marine marchande est soumise