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ne fut nullement un acte de souveraineté politique qu’accomplit ainsi l’empereur ; ce fut un acte judiciaire, sa compétence et sa juridiction personnelles se trouvant substituées, en ce qui regardait les membres de sa famille, à celles de la justice ordinaire. Ces décrets, rédigés par Cambacérès, légiste consommé, sont conçus dans cet esprit : la nullité du mariage ne résulte pas de l’absence du consentement impérial ; à l’époque de la célébration du mariage à Baltimore, Jérôme n’avait pas besoin du consentement de son frère pour se marier ; la nullité prononcée résulte uniquement du défaut du consentement maternel.

Voilà ce que l’auteur de l’article du 1er mai appelle « la ressource douteuse des décrets. » Il ne peut toutefois s’empêcher de reconnaître que le tribunal, sur la demande de Mme Laetitia, aurait pu annuler le mariage ; mais il croit pouvoir expliquer le recours aux décrets par la nécessité de hâter la conclusion de l’affaire. J’avoue ne pas comprendre quel pouvait être pour l’empereur, au mois de mars 1805, l’intérêt de gagner quelques jours sur la procédure ordinaire. La véritable raison du recours aux décrets a été de faire juger Jérôme par son juge compétent, qui n’a fait qu’appliquer la loi commune sous l’empire de laquelle s’était produit l’acte entaché de nullité.

Sous le premier empire, la restauration, le gouvernement de juillet, la république, jusqu’en 1856, c’est-à-dire pendant cinquante ans, le dénoûment donné à l’affaire du mariage américain par les décrets de mars 1805 a été accepté par tout le monde comme un fait juridique, légal, irrévocable, et a été presque oublié par les contemporains. Mme Paterson a sollicité et accepté une pension de l’empereur Napoléon Ier en témoignage de son acquiescement à la sentence impériale ; le mariage du roi Jérôme avec la princesse Catherine de Wurtemberg a été l’objet d’actes internationaux entre la France et le Wurtemberg, sans qu’aucune protestation de Mme Paterson ou de sa famille ait rappelé des droits définitivement condamnés. Plus tard, sous la restauration et la monarchie de juillet, le fils de Mme Paterson a été accueilli par son père, par ma mère, la princesse Catherine, par Mme Laetitia et toute la famille Bonaparte avec la plus affectueuse tendresse, preuve irrécusable qu’en Europe comme en Amérique le souvenir de la naissance de cet enfant ne cachait de prétentions d’aucune espèce. Ce n’est qu’après plus d’un demi-siècle de silence et d’oubli que l’affaire de Baltimore a reparu sur la scène judiciaire. Elle y a été introduite, non avec la prétention de contester le deuxième mariage, ce qui était impossible, mais avec le désir de la part du fils de Mme Paterson de se faire reconnaître comme enfant légitime, en tant qu’issu d’un mariage qui, bien qu’annulé, avait été contracté de bonne foi, disait-il, et devait en conséquence donner droit à un partage d’hérédité.

Il m’est impossible de suivre ce long procès à travers la filière