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par le feu et qu’on aperçoit de fort loin : c’est le Birs-Nimroud ; tout porte à croire qu’il constitue les restes de la fameuse tour des langues ou tour à étages. Sur la plate-forme, jadis élevée de 75 pieds et large de 600, s’élevaient dans le principe sept tours de hauteur inégale, consacrées chacune à l’une des sept planètes et dont les pierres présentaient dans chaque tour respective une teinte différente que les fouilles pratiquées par les Anglais ont permis de déterminer. La couleur et l’élévation de ces tours étaient sans doute en rapport avec les caractères attribués par les Chaldéens à chacune des sept planètes. À la base de l’édifice se trouvait le temple du dieu lunaire Sin. On montait au sommet par des rampes extérieures, et l’on arrivait ainsi au palladium de Nébo, qui dominait le monument. C’est probablement ce sanctuaire de l’inspecteur du ciel dont Hérodote parle comme d’un petit temple placé au haut de la tour à étages, et où une femme désignée par le dieu devait seule passer la nuit. Le Birs-Nimroud, à raison de l’antiquité et de l’importance du monument dont il est le vestige, peut donc rivaliser avec les pyramides de Memphis ; mais ces ruines informes ne sauraient nous donner une idée de l’effet qu’il devait produire quand il était, avec le tombeau de Bélus, dans tout l’éclat de sa richesse et de sa décoration. Nous en sommes réduits à reconstruire par la pensée ces splendides édifices qui faisaient de Babylone ce que Rome est aujourd’hui, lorsque les pompes religieuses dont les bas-reliefs de Koyoundjik nous donnent l’image animaient ces lieux, où règnent maintenant la solitude et le silence. Le pèlerin arabe ou syrien, après avoir visité la ville de Nabuchodonosor, toute remplie de temples et de palais., revenait sans doute étonné sous sa tente, près de la pierre grossière qui lui tenait lieu d’autel ; peut-être aussi, comme le pèlerin allemand du XVe siècle revenant de Rome dans sa triste et froide patrie, était-il en même temps animé d’un sentiment d’aversion et d’horreur pour la corruption et les vices au spectacle éhonté desquels il avait assisté. Babylone lui apparaissait alors plutôt comme la cité du mal que comme la résidence de la Divinité. C’est ce qui explique le souvenir qu’elle a laissé après Ninive, autre ville de débauche et de luxe personnifiée par le voluptueux et lâche Sardanapale, qui périt avec elle au milieu des objets de ses jouissances. Les découvertes archéologiques de MM. Botta, Layard, Y. Place, Loftus, les déchiffremens de MM. Hincks, Rawlinson, J. Oppert, nous permettent de revoir Babylone et Ninive sous un tout autre aspect. La science a ressuscité les deux cités détruites, et a rendu à l’Assyrie le prestige que lui donnaient, il y a vingt-cinq ou trente siècles, la puissance de ses monarques et l’éclat imposant de son culte.


ALFRED MAURY.