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sauraient rien entreprendre à frais communs dans un intérêt collectif. Il n’y a pas de solidarité entre l’aristocratie du talent et la plèbe des médiocres. Étant admis le principe des expositions par l’état et à son profit, il est juste d’exposer toutes les œuvres, sans exception, de ceux qui sont ou croient être des artistes. Les bâtimens publics appartiennent à tous les contribuables, les serviteurs publics également ; mais comme il est amplement démontré qu’un vrai tableau serré entre deux croûtes perd les trois quarts de sa valeur, on ne doit pas entasser pêle-mêle le bon et le mauvais. Chacune de nos expositions, sur un total de quatre mille ouvrages, en compte deux cents remarquables ou estimables ; mettons trois cents pour être larges. Supposez qu’un jury élu par les artistes soit chargé de choisir et de placer dans un ou deux salons tout ce qui mérite d’être vu. Le reste se distribuera dans les salles ou les galeries voisines ; il n’y aura ni reçus, ni refusés, ni refusés exposés, c’est-à-dire voués d’avance au ridicule ; il y aura une collection d’œuvres désignées à l’attention des connaisseurs et à l’étude des ignorans dans cette grande récolte de l’année. Point d’exclusions, sauf celles que la pudeur commande, et placement par le jury.

Dans l’état présent de nos affaires, le jury n’a pas la moindre part au placement des ouvrages exposés, c’est l’administration qui s’en charge. Or il est évident que l’administration ne saurait être impartiale. A ses yeux, les meilleurs ouvrages sont ceux qu’elle a commandés, ou ceux qui portent la signature des artistes bien pensans, soumis aux puissances, ou ceux qui représentent la beauté des personnages augustes, les victoires de nos généraux, les conférences des diplomates, les bals de préfecture, le dévouement des gendarmes, l’enthousiasme des gardes champêtres à la vue d’un candidat ministériel. Il est bien juste que l’administration place avant tout ses idoles, ses amis, ses plaisirs, ses idées, ses faiblesses même. Le mérite intrinsèque d’un ouvrage doit pâlir en présence de certaines considérations. Qu’est-ce que l’art aux yeux d’un homme qui s’est fait fonctionnaire, pouvant être artiste ? Voilà pourquoi certain salon qui s’appelait jadis salon d’honneur est devenu le grand collecteur des choses officielles.

Si le pouvoir n’exerçait son influence que sur les expositions, le mal, si grand qu’il nous paraisse, ne serait qu’un demi-mal ; mais la décadence de nos arts a des sources multiples et haut placées pour la plupart. Les mandataires du public achètent tous les ans pour nos collections un certain nombre de toiles et de statues. Quelques-unes de ces œuvres traversent le musée du Luxembourg, qui est devenu un lieu de passage, et vont ensuite chercher l’ombre et la paix dans des départemens éloignés. On assure que plusieurs