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sont venus, et sont partis désappointés à travers les rues désertes. Un soir cependant, vers onze heures, on a vu des hommes porteurs d’une lanterne inspecter le pavage qui s’étend devant la prison ; des sergens de ville, sous la conduite d’un officier de paix vêtu de son élégant costume, ont pris position çà et là à l’angle des rues. Nul doute, « c’est pour demain matin. » Les plus avisés, ceux qui ne veulent perdre aucun détail, se rendent rue Folie-Regnault et s’installent en face d’une grande masure. C’est là, en effet, dans un vaste hangar volontiers fréquenté par les araignées, mal défendu contre les intempéries par un vitrage à moitié défoncé, que sont remisés les bois de justice. On les charge dans un fourgon en ayant soin d’y joindre un double glaive, car un accident pourrait survenir, auquel il faudrait parer immédiatement. Dans une autre voiture couverte et fermée, assez semblable à celles dont les grands magasins de nouveautés font usage aujourd’hui pour transporter leurs marchandises, on a placé le panier qui doit recevoir le corps du supplicié et lui servir de cercueil jusqu’au cimetière. Vers minuit, tout est prêt ; l’exécuteur veille à ce que rien ne soit oublié ; ses aides sont à côté de lui, l’équipe des ouvriers charpentiers est au complet. On ouvre la porte charretière à deux battans, et le lugubre cortège se met en marche.

L’exécuteur, reconnaissante à sa taille exceptionnelle, attire tous les yeux. Des jeunes gens, des enfans, curieux et peu réservés, le devancent, se retournent pour le mieux voir et s’approchent de lui. Il lui suffit de relever la tête et de les regarder ; ils s’arrêtent, reculent et s’éloignent. En cinq minutes, on est sur la place de la Roquette, devant la porte de la prison. Des groupes indiscrets se massent sur l’emplacement même où l’échafaud doit être dressé ; des sergens de ville les font refluer jusqu’au-delà des trottoirs qui bordent la rue Gerbier et la rue de la Vacquerie ; sur la place même, qui s’étend jusqu’à la maison des jeunes détenus, on ne tolère personne. Les bois ont été retirés par faisceaux numérotés de la voiture qui les contenait ; à la lueur douteuse de deux lanternes, on commence l’opération, qui dure trois heures. Les chevalets sont placés, on assujettit la fourche qui soutient le plancher au-dessous de l’endroit précis où s’appuient les montans et où le choc doit se produire ; avec grand soin, au fil à plomb, on équilibre ces fondations de la charpente, car la moindre déviation, détruisant le parallélisme des deux poteaux, pourrait neutraliser l’action du glaive en l’empêchant de glisser dans les rainures avec la force irrésistible qui doit l’entraîner. Toutes les pièces, jointes par des boulons, sont faites pour être assemblées sans qu’on soit forcé d’employer le marteau ; mais il arrive parfois qu’elles ont joué, et, pour les réunir, on les frappe à coups de maillet ; alors, dans la foule qui augmente