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professeur Kopp, de Lucerne, homme de science et de conscience, auquel il n’a manqué, pour compter parmi les maîtres, que les indispensables qualités de l’écrivain, a pu compiler impunément son Histoire des alliances fédérales, et bien qu’il renversât dans cet ouvrage compendieux toutes les croyances populaires, il vécut tranquille et mourut honoré. M. Juste Olivier a étudié ici même les premiers travaux de Kopp dans un travail intéressant qui se lit et se discute encore en Suisse[1] ; mais depuis lors la critique a marché. Grâce aux travaux de M. G. de Wyss et de beaucoup d’autres (J. J. Blumer, Waitz, H. Wartmann, A. Huber, W. Vischer, etc.), la question paraît maintenant résolue en Allemagne et dans la Suisse allemande ; Guillaume Tell et même les héros du Grütli n’y trouvent plus parmi les savans que des hommes de peu de foi. Il n’en est pas ainsi dans la Suisse française, où, de 1844 à 1868, aucun écrivain, à notre connaissance, n’avait rien publié sur les origines de la confédération helvétique. L’étude un peu sèche des documens qui avaient renouvelé l’histoire nationale répugnait même aux lettrés, qui trouvaient l’ancienne crédulité plus commode ; une douce paresse, décorée du beau nom de patriotisme, s’en tenait volontiers aux saintes traditions. C’est pourquoi l’an dernier, quand ces traditions tombèrent tout à coup, abattues par le livre de M. Albert Rilliet (Rilliet de Candolle), le public fut comme frappé de stupeur. Réveillé en sursaut d’un long sommeil, il se demanda de quel droit on venait déranger ses habitudes. Les poètes s’écrièrent que, lors même que toutes les chartes du monde contesteraient la légende, les rochers se dresseraient pour affirmer l’existence de Guillaume Tell. Cependant le nom de M. Rilliet imposait silence aux clameurs ; on avait affaire à un esprit rigoureux qui n’entrait en lice qu’armé jusqu’aux dents et pour frapper de grands coups : critique inflexible qui allait droit au but, sans souci des préjugés, sans pitié pour les illusions, sans respect pour les idoles. De plus on était forcé de reconnaître le mérite exceptionnel de son livre, qui, résumant et complétant les travaux antérieurs sur le même sujet, se distinguait par de rares qualités d’exposition et de composition, par la sagacité de la critique et surtout par la sûreté de la méthode. Avec un pareil guide, nous pouvons nous aventurer à notre tour sans trop de présomption sur les Alpes historiques, défier les glaces et les brouillards. M. Rilliet, qui nie la légende, prévoit deux objections : « comment donc cette légende s’est-elle formée ? et que mettrez-vous à la place ? » En reproduisant à notre manière les réponses de l’auteur genevois, nous tiendrons les lecteurs au courant du débat. Ils auront ici

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1844.