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« La nuit de printemps silencieuse et fraîche — se couche dans les chauds vallons. — D’aimables sons résonnent… — Dis-moi, que signifient ces chants ? — Écoute ! les elfes saluent les fleurs blanches — qui se balancent dans la rosée sous la pointe de leurs pieds furtifs. — Oh ! laisse leur chant pénétrer ton cœur[1] ! »


Enfin ce qui fait de la Norvège un pays unique, c’est que la vie alpestre et la vie maritime s’y donnent la main. Par ces défilés étroits qu’on nomme fiords, la mer s’enfonce à des trentaines de lieues au beau milieu des montagnes. Dans le Hardanger, dans le Sognfiord, les cascades tombent dans la mer, les avalanches y engloutissent parfois les embarcations. En ces gorges sauvages, que d’existences diverses se côtoient sans se toucher ! Souvent le pêcheur qui séjourne dans le fiord voit toute sa vie le village pendu au roc à 3,000 pieds au-dessus de sa tête, sans songer une seule fois à y monter, tandis que le bûcheron qui vit là-haut sur le field voit rouler les troncs de sa forêt dans l’écume des rapides et aperçoit dans la profondeur vertigineuse du golfe la voile penchée filant vers la haute mer, sans jamais pouvoir la suivre. En regardant ce beau miroir vert-émeraude qui reluit dans l’abîme, il pourrait se croire au-dessus d’un lac ; mais les tempêtes de l’Atlantique s’engouffrent jusqu’à lui par les portes étroites et colossales du fiord. Aussi parfois le vieux sang Scandinave se réveille, le bûcheron jette sa cognée et va se faire matelot.

Telle est la patrie des Northmans, qui étonnèrent le moyen âge par leurs invasions téméraires. On connaît assez le caractère de ces rois de mer qui ne respiraient à l’aise que dans l’orage, qui, jetés dans la fosse aux vipères, chantaient sous la morsure des reptiles : « nous avons combattu avec l’épée ! mon sourire brave la mort ! » Férocité, hardiesse sans bornes, fidélité au chef, soif inextinguible du nouveau et de l’incommensurable, voilà les passions qui soulevaient ces rudes poitrines sous leurs peaux de sanglier. C’est au milieu d’eux que le culte d’Odin et de Thor eut ses plus fortes racines. Le christianisme ne les dompta que par des guerres séculaires et des violences extrêmes ; mais, comme les Bretons, les Norvégiens embrassèrent cette religion avec d’autant plus d’ardeur qu’ils avaient mis plus d’opiniâtreté à la combattre. Leur transformation sous l’influence chrétienne rappelle une légende suédoise. Saint Laurent, venant du pays des Saxons, rencontre un géant près de Lund. « Je te bâtirai une église, dit le géant, mais à une condition : quand j’aurai fini, tu me donneras tes deux yeux, à moins que tu

  1. Chanson de Welhaven, né à Bergen.