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une occasion de rompre avec la droite ; il suppliait la droite de lui faire le plaisir de voter contre lui, il invoquait avec effusion la date du 2 janvier, il arborait à la tribune le drapeau sauveur des programmes libéraux des deux centres. Dans une des dernières séances, ce n’était plus cela ; M. le garde des sceaux faussait compagnie au centre gauche, et revenait vers la droite, qui l’a reçu avec tendresse jusqu’à la prochaine occasion. Un jour, il arrive au Palais-Bourbon plein de menaces mystérieuses, la foudre dans sa poche, et laissant passer un bout de décret de dissolution ; le lendemain, de sa voix la plus douce, il assure au corps législatif qu’il voit en lui la représentation la plus fidèle du pays. Aux uns, il déclare qu’il a cinq ans devant lui, toute une législature, pour accomplir les réformes qu’on lui demande ; aux autres, il avoue qu’il a une loi électorale toute prête, que les élections seront pour le printemps au plus tard. Évidemment il y a partout une extrême bonne volonté de soutenir M. Émile Ollivier dans l’œuvre difficile qu’il poursuit ; mais on ne serait pas fâché quelquefois aussi de savoir quelle sorte de politique on soutient, si on se réveillera avec la droite ou avec la gauche, et de son côté le corps législatif ne sait pas beaucoup mieux ce qu’il veut ou ce qu’il peut. La vérité est qu’il y a passablement d’irrégularité et de fantaisie dans cette situation, qui reste conséquemment sans solidité, et le régime parlementaire, à travers tout cela, que devient-il ? C’est un à-peu-près en toute chose, une prise de possession assez confuse qui se manifeste par des débordemens de propositions sans suite dans le corps législatif, par des incertitudes de direction dans le gouvernement, par une inexpérience remuante qui va quelquefois jusqu’à l’oubli complet des conditions nécessaires du système constitutionnel. Nous nous essayons, nous ne réussissons pas toujours ; nous avons l’apparence en attendant de conquérir par nous-mêmes l’entière réalité, et le meilleur moyen de conquérir cette réalité, c’est après tout de ne se point décourager, d’entrer sans arrière-pensée dans la pratique des institutions nouvelles, de maintenir dans son intégrité, dans sa vraie mesure, ce droit parlementaire qui est le levier naturel du gouvernement du pays par le pays.

Rien ne peint mieux cette période d’hésitation et de tâtonnement où nous vivons, où le ministère lui-même est quelquefois le premier à glisser dans les plus étranges méprises, que ce qui s’est passé l’autre jour au sénat à l’occasion d’un incident qui ne manque pas d’importance. Soit par inexpérience, soit par une susceptibilité d’amour-propre, le ministère a failli se heurter contre un écueil imprévu en soulevant à la fois une question juridique et une question de droit constitutionnel. M. Émile Ollivier a voulu signaler son récent passage au ministère des affaires étrangères par un acte marquant ; il a négocié un peu brusquement avec l’Espagne un traité destiné à régler, par voie de réciprocité, l’exécution