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sont les plus nombreux, ils constituent le fond même de la langue, ils en forment l’histoire par leur développement ; c’est sur eux que porte la plus sérieuse partie du travail de M. Brachet.

Ils procèdent du latin pour le plus grand nombre, presque tous ont commencé par revêtir une forme latine. Le français et le latin sont moins deux langues différentes que deux états successifs de la même langue. Les mots ont passé de l’une à l’autre forme par une série de dérivations successives ; ces changemens se sont accomplis selon des lois fixes et régulières. Ces lois sont le fondement même de la science étymologique. M. Brachet les expose en détail pour chaque lettre. « L’ancienne étymologie, dit-il, cherchait à expliquer a priori l’origine des mots d’après leur ressemblance ou leur différence ; appliquant la méthode des sciences naturelles, l’étymologie moderne estime au contraire que les mots doivent s’expliquer d’eux-mêmes, — qu’au lieu d’inventer des systèmes, il faut observer les faits à l’aide de trois instrumens : l’histoire du mot, qui par des transitions sûres, nous conduit au primitif cherché ou out au moins nous en rapproche ; la phonétique, qui nous fournit les règles de transformation d’une langue à l’autre ; la comparaison, qui assure et confirme les résultats acquis. » Les recherches se trouvent ainsi limitées et assurées ; rien n’est laissé à l’arbitraire.

Ces détails ne sauraient faire apprécier complètement ni la méthode de M. Brachet, ni le tact et le savoir apportés par lui à la composition de son dictionnaire ; mais ils suffiront peut-être à donner au lecteur une idée des notions intéressantes et toutes nouvelles qu’il rencontrera dans ce livre. Il est à souhaiter que ces deux manuels historiques de notre langue en étendent chez nous l’étude, beaucoup trop négligée jusqu’ici. La grammaire de M. Brachet a été traduite en anglais par l’université d’Oxford. Il y a en Allemagne un grand nombre de gymnases où l’histoire non-seulement de notre littérature, mais de notre langue est enseignée aux élèves des classes supérieures. Rien de pareil n’existe dans nos lycées ; nos facultés elles-mêmes n’ont point de cours consacré à l’histoire du français. On se plaint à juste titre d’une certaine décadence dans le langage ; l’impropriété dans les expressions, le manque d’analogie, une fureur de néologisme que rien ne justifie, sont dus en partie à l’ignorance où l’on est des richesses véritables et de l’esprit de notre langue. Une étude approfondie du français dans son état présent et dans son passé serait le seul remède sérieux à un tel état de choses.


ALBERT SOREL.


C. BULOZ.