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Est-il bien certain que ces réformes auraient l’effet qu’on en attend ? Les sûretés qui sont proposées ne nous paraissent pas, tant s’en faut, être propres à séduire les détenteurs de fonds. Le prêteur n’attachera qu’une petite importance à l’engagement des bestiaux et dès machines, parce qu’il est facile de les détourner. Ne serait-il pas obligé de surveiller constamment son gage avec la crainte qu’on ne l’enlève ? Sans doute, au milieu d’une panique, après avoir imprudemment consenti à prêter, il acceptera ce nantissement, quelque incommode et peu rassurant qu’il soit ; mais ce n’est pas l’espoir d’obtenir cette garantie imparfaite qui pourra le décider à livrer son argent. Admettons que le détournement du matériel engagé, même s’il est fait par le propriétaire, soit puni de peines sévères ; ces peines ne suffiront pas pour rassurer le créancier, car alors la valeur du gage dépendrait uniquement de la moralité du débiteur, ce qui transformerait la sûreté réelle en garantie toute personnelle.

L’engagement des récoltes sur pied aurait des inconvéniens analogues à ceux de l’engagement sur place des animaux et des machines. Les moissons peuvent être coupées et enlevées en une nuit ; le gage peut donc disparaître subitement. Que fera le créancier, si le débiteur, pour se justifier, dit qu’elles ont été volées, et qu’il est comme lui victime d’un malfaiteur ? La complicité sera peut-être démontrée ; mais il faudra, pour arriver à ce résultat, supporter les ennuis d’une instruction criminelle. On poursuivra le débiteur, dit-on ; mais que sa défense est facile ! Dans la plupart des cas, personne ne l’aura vu. Il n’est pas rare que le créancier et le débiteur soient séparés par une inimitié, et, même quand elle ne se montre pas, le créancier peut craindre raisonnablement que cette haine n’existe à l’état latent. Cela seul suffira pour lui inspirer des appréhensions sur la solidité du gage.

Nous ne croyons pas plus à l’efficacité de l’extension, dans l’intérêt du fournisseur d’engrais, du privilège qui garantit les semences ou frais de récolte de l’année. Nous convenons qu’il est juste que le prix de la récolte serve à payer de préférence ceux qui l’ont fait venir par leur travail ou leurs fournitures ; mais cette sûreté décide-t-elle le créancier à faire des avances ? Nullement. Si le fournisseur pouvait penser qu’à l’échéance il sera obligé de vendre le gage, de suivre une procédure pour faire établir son rang et le disputer aux autres créanciers, cette perspective le ferait reculer, et il ne livrerait pas son fumier. En général d’ailleurs ce n’est pas la chose engagée qui détermine le créancier à faire crédit. Elle n’est qu’un complément de garantie, et il est rare qu’au moment où se fait la convention, le débiteur ne soit pas digne par lui-même de la confiance qu’on lui accorde. S’il ne la méritait pas, personne ne