Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/576

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fortifier la puissance germanique contre les agressions ; mais ces provinces dont on veut se faire un bouclier et qui seront en perpétuelle révolte morale, de quel secours seront-elles pour ceux qui les auront usurpées ? En quoi l’Allemagne sera-t-elle plus forte avec cette autre Pologne suspendue au flanc ? Ces populations, au lieu d’être une garantie de sécurité contre la France, seront au contraire dans nos mains un levier pour agiter et ébranler l’Allemagne ; au premier signal de guerre, elles seront nos complices. Voilà de belles sûretés qu’aura prises M. de Bismarck ! La vérité est que le roi Guillaume et son chancelier pouvaient se dispenser de donner de semblables raisons. Ils n’ont pas fait la paix à Ferrières, parce qu’ils ont l’orgueilleuse pensée de la dicter à Paris. Ils prétendent prendre la Lorraine, et l’Alsace comme Frédéric II prenait la Silésie, parce que tel est leur bon plaisir. Ils sont la force et la conquête ; ils ont surpris la fortune, et ils veulent en abuser. Le tout est de pouvoir aller jusqu’au bout, à travers ces ruines et ces haines dont on fait le cortège d’une ambition sans scrupule.

Roi et chancelier sont aujourd’hui, en 1870, ce que Napoléon était en 1806 et 1807. La Prusse ne se souvient-elle d’Iéna que pour essayer de le recommencer contre nous ? À cette époque aussi, il y avait un état où une cour présomptueuse s’était jetée impatiemment dans la guerre sans s’être préparée. En quelques jours, ce malheureux état expiait cruellement ses illusions. Une armée qu’on croyait la première de l’Europe disparaissait tout entière. Des capitulations, il y en avait à foison : Spandau, Prenzlow, Custrin, Stettin, Magdebourg ; trois hussards prenaient des escadrons, des chasseurs à cheval prenaient des places fortes. Des généraux qui une année auparavant n’avaient pas eu assez de clameurs contre la capitulation d’Ulm, Hohenlohe, Kleist, Blücher, se rendaient l’un après l’autre. Berlin était au pouvoir du vainqueur, et Napoléon, au lieu d’être prévoyant et mesuré dans sa victoire, poussait jusqu’au bout le démembrement et l’humiliation de la Prusse. Il était la conquête comme ceux qui prétendent l’imiter aujourd’hui dans ses violences et dans son mépris du droit des peuples. Eh bien ! à quoi donc cette politique a-t-elle servi ? Elle a été plus utile à ceux qui en ont été un moment les victimes qu’à celui qui a paru en profiter. Cette campagne d’Iéna qu’il ne nous déplaît pas de rappeler en ce moment où l’on prétend la recommencer contre nous et où l’on n’est pas encore arrivé au bout, cette campagne d’Iéna enseigne à la Prusse et à la France que les œuvres de la force sont sans durée et que les peuples qui ont des malheurs se relèvent quand ils le veulent bien. Les Iénas préparent des Sedans, les Sedans préparent des revanches inconnues. Par une inspiration heureuse et un saisissant à-propos, M. l’évêque d’Orléans rappelait récemment dans des pages d’une vive et patriotique éloquence une lettre de cette brillante, spirituelle et infortunée reine, Louise de Prusse, que