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Lorsque la patrie, qui n’est exclusivement ni aux uns ni aux autres, mais qui est à tous, palpite et se débat sous l’étreinte de l’ennemi, lorsqu’on est en face d’événemens qui font vibrer une même passion dans toutes les âmes, qui devraient si naturellement unir toutes les volontés, plier toutes les révoltes de l’ambition ou de la colère, c’est pourtant étrange qu’il y ait des esprits violens, aigris, emportés, toujours prêts à rompre cette trêve sacrée du patriotisme et à semer le vent pour récolter la tempête. L’ennemi est à nos portes, la république a été proclamée, acclamée, justement parce qu’elle était ce qui nous divisait le moins. Le bon sens le plus évident, le plus impérieux, dit que la première nécessité est de chasser l’étranger, de vivre en un mot ; porro unum est necessarium ! C’est le mot d’ordre invariable du patriotisme en face de l’envahisseur ; mais non, cela ne suffit pas, il faut autre chose. Il y a des hommes qui éprouvent le besoin des diversions. M. Blanqui, M. Félix Pyat, M. Ledru-Rollin lui-même, M. Gustave Flourens, sont persuadés que les Prussiens ne nous donnent pas assez d’occupation ; ils se sont mis en campagne pour procurer aux Parisiens les moyens de batailler entre eux, et c’est ainsi que, sous cette inspiration dissolvante de quelques meneurs, une espèce d’agitation factice s’est répandue dans la ville pendant quelques jours, avec des espèces de manifestations, des espèces de promenades de quelques bataillons de gardes nationaux en armes ou sans armes, et même des espèces de siège du gouvernement de la défense nationale à l’Hôtel de Ville. Que voulaient M. Blanqui, M. Ledru-Rollin, M. Delescluze, M. Pyat, M. Gustave Flourens ? que poursuivaient-ils ? Ils tenaient tout simplement à donner de l’occupation aux Parisiens, qui n’en ont pas, à ce qu’il paraît, en ce moment ; ils voulaient à tout prix et au plus vite faire des élections. Bien entendu, ils ne s’inquiétaient que fort médiocrement d’une représentation générale de la France, d’élections devenues trop notoirement impossibles en présence de l’ennemi, répandu dans vingt départemens ; ce qu’ils voulaient, c’était le scrutin à Paris, l’élection immédiate et confuse d’une municipalité parisienne, ou, pour mieux dire, d’une commune révolutionnaire, et le fond de leur pensée était aussi clair que le jour. Comme la masse des citoyens parisiens aurait trouvé naturellement qu’elle avait autre chose à faire, les partisans de M. Blanqui, de M. Ledru-Rollin, de M. Félix Pyat, seraient seuls allés aux élections ; ceux-ci composaient à leur gré la municipalité nouvelle ; la municipalité ou la commune entrait à L’Hôtel de Ville, protégeait d’abord le gouvernement de la défense nationale, puis le supplantait en le jetant au besoin par la fenêtre, en cas de résistance à la volonté du peuple, et le tour était joué : la commune révolutionnaire régnait, promulguait des décrets, déployait sa souveraineté dictatoriale sur Paris, sur la France, sur le monde ; les beaux jours de 1792 et de 1793 renaissaient, tout était sauvé !