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leur pays en protestant de son désir de maintenir la paix. Les Athéniens feignirent d’ajouter foi à ces protestations.

La guerre dite sacrée ramena Philippe sur le théâtre des affaires de la Grèce, qu’il avait quitté pour poursuivre du côté des barbares quelques annexions. Le conseil amphictyonique siégeant à Delphes avait été aussi impuissant à régler les différends des états helléniques que la diète germanique à régler en 1852 ceux de l’Allemagne et du Danemark. La guerre avait éclaté entre ceux qui soutenaient le décret des amphictyons et ceux qui défendaient la cause des Phocidiens, condamnés par cette assemblée. Presque toutes les cités helléniques y prirent part. Athènes défendit avec Lacédémone ceux que le congrès sacré avait sacrifiés à l’inimitié des Thébains. Philippe prit le parti opposé, et fit l’essai de sa nouvelle marine contre celle de l’Attique, non sans quelque succès. A des victoires sur mer viennent se joindre d’heureux combats sur terre. Philippe étonne les Athéniens par la rapidité et la décision de sa marche, il continue à les jouer par l’habileté de sa politique ; des états grecs, il abuse les uns, il intimide les autres. Athènes s’aperçoit trop tard qu’elle a un ennemi qu’elle tenait à tort pour méprisable. Les patriotes poussent alors à une guerre à outrance contre celui dont l’hypocrisie leur est pleinement démontrée ; d’autres qui se font illusion, ou dont le monarque a sans doute acheté la parole, veulent encore se fier aux promesses de ce prince. Faut-il donc, s’écrie Démosthène, attendre que Philippe soit à Athènes ou au Pirée ?

Un siècle et demi auparavant, Athènes n’aurait pas hésité ; mais cette cité ne demeurait plus ce qu’elle s’était montrée au temps des guerres médiques. Sans doute elle renfermait encore des hommes braves et déterminés ; mais le bien-être amené par un accroissement extraordinaire de la richesse due aux progrès de son commerce et de son industrie[1] avait amolli les caractères et affaibli les instincts guerriers. On se reposait du soin de combattre pour la patrie sur des mercenaires, qui, faisant des armes un métier et non un devoir, enlevaient à la guerre ce que, malgré sa barbarie, elle a de noble et de propre à retremper les âmes. Les soldats n’étaient plus des citoyens, c’étaient des soudards. Et cependant les personnages influons recherchaient encore les grades ; c’était, remarque Démosthène, pour parader en costume dans les cérémonies, non pour aller se mettre à la tête des armées. Aussi y avait-il des Athéniens qui faisaient profession de mépriser la guerre, et opposaient aux velléités de combattre qu’avaient les autres les douceurs de la paix,

  1. « Qu’on jette les jeux sur Athènes tout entière : il y a presque autant d’argent dans cette seule ville que dans toutes celles de la Grèce prises ensemble. » Démosthène, Harangue sur les symmories.