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de crimes contre la « majesté » de l’état. Or ces crimes étaient jugés par l’état lui-même dans la personne d’un consul ou d’un préteur. Il devait y avoir peu de débats où le juge ne fût intéressé, soit personnellement, soit comme chef de la cité.

Les anciens n’ont jamais bien aperçu que le despotisme d’une république n’est pas moins écrasant que celui d’un homme. Celui-ci, ils l’appelaient la tyrannie ; l’autre, ils l’appelaient volontiers la liberté. Les Romains sentirent bien vite combien l’autorité judiciaire dans la main d’un consul, sans contrôle et sans appel, était exorbitante et pouvait devenir funeste ; mais ils n’y virent d’autre remède que le jugement par le peuple lui-même. Ils autorisèrent donc tout citoyen condamné à mort par le consul à en appeler au peuple. C’est ce que le langage officiel appelait la provocation. Ce droit d’appel, s’il faut en croire les historiens romains, remonterait à la première année du consulat ; toutefois un esprit attentif ne manquera pas de concevoir bien des doutes sur ce point. Il ne suffit pas d’ailleurs de savoir que l’homme condamné par le consul avait le droit d’en appeler au peuple ; il faudrait savoir encore comment ce droit pouvait être exercé, à quelle sorte de comices l’appelant devait s’adresser, de quelle façon il pouvait défendre son appel. Il y a de fortes raisons, de croire que, du moins pour les premiers siècles de la république, l’appel devait être porté devant les comices par curies ou par centuries. — Or l’on sait que ces comices étaient présidés par le consul, et que nul n’y pouvait prendre la parole sans une autorisation spéciale du président. On ne voit donc pas qu’il fût facile à un citoyen de parler au peuple et de le faire voter malgré le consul contre l’arrêt de ce consul lui-même. L’appel au peuple ne fut peut-être, comme tant d’autres institutions de la république romaine, qu’un vain mot et un leurre. La preuve que cette loi sur l’appel n’était guère exécutée et restait d’ordinaire à l’état de lettre morte, c’est que nous pouvons compter dans les historiens que, dans l’espace de trois siècles, il fallut la renouveler sept fois, et Tite-Live fait même cette remarque, que ce fut seulement à la septième fois, c’est-à-dire à l’avant-dernier siècle de la république, qu’elle fut réellement appliquée.

Il arrivait souvent qu’en dehors même de tout appel le peuple romain jugeait directement et par lui-même. Les exemples les plus frappans de cette sorte de justice sont les procès de Coriolan, de Claudius Pulcher et de Scipion l’Africain. Il était sans aucun doute admis que le peuple, c’est-à-dire la cité, avait toujours le droit d’évoquer une cause, de s’ériger en tribunal pour juger un accusé. Les anciens voyaient là une garantie de liberté ; mais les exemples mêmes que nous connaissons prouvent le vice de cette juridiction populaire. Dans le procès de Coriolan, c’est la passion et la haine