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dit-on. Je n’en sais pas davantage, mais cette fuite en ballon, à travers l’ennemi, est héroïque et neuve ; l’histoire entre dans des incidens imprévus et fantastiques.

Des personnes qui connaissent Gambetta nous disent qu’il va tout sauver. Que Dieu les entende ! Je veux bien qu’il en soit capable et que son nom soit béni ; mais n’est-ce pas une tâche au-dessus des forces d’un seul homme ? Et puis ce jeune homme connaît-il la guerre, qui est, dit-on, une science perdue chez nous ?

Mercredi 12 octobre.

On n’a pas le cœur à se réjouir ici aujourd’hui ; c’est la révision, c’est-à-dire la levée sans révision des gardes mobilisées : elle se fait d’une manière indigne et stupide ; on prend tout, on ne fait pas déshabiller les hommes ; on ne leur regarde pas même le visage. Des examinateurs crétins et qui veulent faire du zèle déclarent bons pour le service des avortons, des infirmes, des borgnes, des phthisiques, des myopes au dernier degré, des dartreux, des fous, des idiots, et l’on veut que nous ayons confiance en une pareille armée ! Un bon tiers va remplir les hôpitaux ou tomber sur les chemins à la première étape. Les rues de la ville sont encombrées de parens qui pleurent et de conscrits ivres-morts. On va leur donner les fusils de la garde nationale sédentaire, qui était bien composée, exercée et résolue ; le découragement s’y met. Les optimistes, ils ne sont pas nombreux, disent qu’il le faut. S’il le faut, soit ; mais il y a manière de faire les choses, et, quand on les fait mal, il ne faut pas se plaindre d’être mal secondé. On se tire de tout en disant : Le peuple est lâche et réactionnaire. — Mon cœur le défend ; il est ignorant et malheureux ; si vous ne savez rien faire pour l’initier à des vertus nouvelles, vous les lui rendrez odieuses.

Les nouvelles du dehors sont sinistres. Orléans serait au pouvoir des Prussiens ; les gardes mobiles se seraient bien battus, mais ils seraient écrasés ; on accuse Orléans de s’être rendu d’avance. Il faudrait savoir si la ville pouvait se défendre ; on dit qu’elle ne l’a pas voulu, on entre dans des détails révoltans. Les habitans, qui d’abord avaient refusé de recevoir nos pauvres enfans, auraient cette fois fermé leurs portes aux blessés. Le premier fait paraît certain, le second est à vérifier. Nos jeunes troupes civiles sont redoutées autant que l’ennemi : elles sont indisciplinées, mal commandées ou pas commandées du tout ; je crois qu’on leur demande l’impossible. Si toutes les administrations sont dans l’anarchie comme celle des intendances auxquelles nos levées et nos soldats ont affaire, ce n’est pas une guerre, c’est une débandade.