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des membres de la famille. A défaut de cette formalité, l’aliénation était nulle, et le bien pouvait être revendiqué. Le « retrait-lignager, » qui s’est maintenu en Allemagne jusqu’au XVIe siècle, et en Hongrie presque jusqu’à nos jours, a pour fondement l’ancien principe qui attribuait à la famille le domaine éminent. Si les membres de la famille pouvaient se faire rendre le bien en restituant le prix, c’est évidemment parce qu’ils avaient sur la chose un droit supérieur qui avait été méconnu. Le fidéicommis et le majorat, qui transformaient le possesseur en simple usufruitier, sont la forme aristocratique de la communauté de famille; la propriété constitue encore le domaine inaliénable et indivisible de la famille, seulement c’est l’aîné qui en jouit et non plus tous les descendans en commun. Étudions d’abord les communautés de familles chez les Slaves méridionaux, nous tâcherons ensuite de les reconstituer telles qu’elles ont existé au moyen âge.


I.

Les Slaves, entrés en Europe peut-être avant les Germains, ont conservé néanmoins plus longtemps que ceux-ci les institutions et les coutumes des époques primitives. Quand ils apparaissent pour la première fois dans l’histoire, ils sont dépeints comme un peuple vivant principalement des produits de leurs troupeaux, très doux, quoique braves, et aimant singulièrement la musique. Ils n’étaient donc pas encore sortis du régime pastoral, quoiqu’ils eussent renoncé en partie à la vie nomade. La terre appartenait à la gmina, — en allemand gemeinde, commune, — qui opérait chaque année dans des assemblées générales (vietza] le partage du sol entre tous les membres du clan. La possession annuelle était attribuée aux familles patriarcales en proportion du nombre des individus qui les composaient. Chaque famille était gouvernée par un chef, le gospodar, qu’elle élisait elle-même[1]. Ce que l’ancien historien des Slaves, Nestor, loue surtout chez eux, c’est la force du sentiment de famille, qui était, dit-il, la base de la société. Il ajoute que c’était par excellence leur vertu nationale. Celui qui s’affranchissait des liens de la famille était considéré comme un criminel qui avait violé les plus saintes lois de la nature. L’individu n’avait de droits à exercer que comme membre de la famille. Celle-ci était véritablement l’unité sociale élémentaire, et dans son sein régnait la com-

  1. Si l’on veut connaître plus en détail les anciennes institutions des Slaves, il faut lire pour la Bohême la belle histoire de M. Palaçki, pour la Russie Ewers, Aellestes Redit der Russen, pour la Pologne Rüssell, Polnische Geschichte, et Microslawski, la Commune polonaise du dixième au dix-huitième siècle, enfin pour les Slaves méridionaux l’étude si complète de M. Utiesenovitch, Die Hauskommunionen der Süd-Slaven.