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Ils ressemblent en ce point à la législation romaine ; comme, elle, ils représentent le droit régulier, ce qu’on pourrait, presque appeler le droit civil, jus civile, tandis qu’il existe à côté d’eux tout un ordre social établi par les mœurs et par les intérêts privés, dont ils ne s’occupent pas plus que ne le faisaient les lois romaines. C’est pour ce motif que les codes des Francs, sont tellement en désaccord avec le tableau que les chroniqueurs nous présentent de la vie sociale des mêmes époques ; ils sont le droit civil, et ils laissent se développer à côté d’eux, obscur, mais puissant, tout un droit naturel jus gentium ; qui un jour prendra le dessus et les remplacera. Ainsi les lois des Francs et des Burgondes, sauf quelques allusions vagues, ne parlent pas du bénéfice. Ces lois sont attentives à garantir la propriété et à en régler la transmission ; elles n’ont aucune protection ni aucune règle pour la jouissance bénéficiaire. Si l’on ne consultait que les textes législatifs, on croirait que le bénéfice n’existait pas : c’est qu’il n’existait qu’en dehors de l’ordre légal. Le possesseur par précaire ou par bienfait était un homme qui occupait la terre d’autrui sans aucun droit personnel et sans autre titre que la volonté ou l’assentiment, toujours révocable, du vrai propriétaire. Quand on lit ces formules dont nous avons parlé plus haut, la precatoria et la prœstaria qui se correspondent si exactement, on croit d’abord avoir sous les yeux un véritable contrat en deux parties. A regarder de plus près, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de contrat ; en effet, le concédant s’attache à marquer qu’il ne fait qu’un acte de pure volonté, et le concessionnaire est contraint de reconnaître qu’ayant adressé une prière il ne tient ce qui lui est concédé que de la bonté et du bienfait, d’un homme. Ces termes étaient incompatibles avec l’idée de droit, et d’actes ainsi conçus il ne pouvait naître aucune obligation légale. Quand même le donateur promettait par écrit d’accorder une jouissance viagère, cette promesse, à cause des termes dans lesquels elle était exprimée, n’avait aucune valeur : en justice[1]. Si le bénéficiaire évincé s’adressait à un tribunal et présentait ses chartes de concession, ces chartes ne signifiaient qu’une chose, c’est qu’il n’était pas propriétaire et qu’il n’avait aucun droit sur le sol.

Il résultait de là que le bénéficiaire était dans la dépendance du bienfaiteur, et à sa merci. Les relations entre ces deux hommes n’étaient réglées ni par la loi ni par un contrat ; elles l’étaient par la volonté seule de l’un d’eux. Celui qui ne possédait qu’en vertu d’un bienfait était donc personnellement lié au bienfaiteur. Par

  1. Aussi les jurisconsultes romains disaient-ils au sujet de cette sorte de promesse Nulla vis est hujus conventionis.