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REVUE. — CHRONIQUE.

tis, une stabilité relative, une période de sécurité promise à tous les intérêts, un gouvernement organisé avec une certaine durée et certaines institutions plus précises.

Eh bien ! non, ce n’est point cela, ce n’est point ainsi que l’entendent les partis. Ils s’inquiètent fort peu, les partis, que le travail chôme, que la misère s’accroisse, que les ressources du pays diminuent à mesure qu’on lui impose des charges nouvelles, que la confiance tarde à renaître, ils ne s’inquiètent pas de ces minuties. L’essentiel pour eux est de ne pas se laisser oublier, de prouver que, lorsqu’on n’a pas le gouvernement de son choix, le mieux est de n’avoir pas de gouvernement du tout, de s’arranger une petite vie libre et commode où chacun va faire ses dévotions, qui à Chislehurst, qui à Frohsdorf, et où le pays devient ce qu’il peut. L’important pour les chevaliers de l’empire et de la légitimité, c’est de ne pas laisser à un régime né d’hier cette illusion qu’il peut avoir réellement une existence sérieuse, qu’il peut compter jusqu’au bout sur la durée qu’on lui a promise. Le septennat, un gouvernement organisé, des lois constitutionnelles, y pense-t-on ? Le maréchal de Mac-Mahon, on peut le tolérer personnellement, on s’empresse de lui rendre ses devoirs, et en même temps on part pour l’Angleterre ! On quitte Versailles, on déserte l’assemblée où se discutent les affaires du pays, et on va saluer à Chislehurst la majorité du prince impérial.

Rien n’est assurément plus étrange et plus triste que cette fête du 16 mars, où trois ans après la guerre le bonapartisme vient de publier son manifeste et ses espérances par la bouche d’un jeune homme de dix-huit ans. Voilà donc toutes les marques de respect et de sympathie que le bonapartisme a su trouver pour cette France ravagée, ruinée et démembrée par sa faute ! On nous parle de la « grande mémoire » de celui dont la dernière journée sur la terre française fut « une journée d’abnégation et d’héroïsme. » Pour les désastres du passé, pour les souffrances infligées au patriotisme français, ce jeune homme au précoce sang-froid n’a pas même un mot. En revanche, il a une préoccupation toute particulière de notre avenir, de nos « destinées futures ; » il est au courant des inquiétudes de la France, et, après de longues méditations, il a trouvé que le plébiscite seul était « le salut et le droit. » On lui fait dire que, si la France choisissait un autre gouvernement, il s’inclinerait devant la décision du pays, que, « si le nom des Napoléon sort pour la huitième fois des urnes populaires, il est prêt à accepter la responsabilité que lui imposerait le vote de la nation. » Il a vraiment des dispositions, ce jeune prince de dix-huit ans, à qui on a enseigné qu’il faut commencer par avoir « foi en soi-même, » et qui sait si bien jouer du plébiscite dans ses discours !

Certes cette manifestation du 16 mars, qu’il ne faudrait ni exagérer ni diminuer, montre assez le chemin qu’on a laissé faire au bonapar-