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Ce ne sont pas les chrétiens qui s’en sont servis les premiers, les Juifs leur en avaient donné l’exemple. C’était, comme on sait, une des vertus de ce peuple, énergique que ses désastres n’affaiblissaient pas ses espérances ; au contraire elles se sont accrues et précisées par ses désastres même. Il n’avait jamais une vue plus nette de sa mission et un espoir plus assuré de son triomphe que lorsqu’il était malheureux. A chaque coup qui le frappait, il sentait le besoin, pour se raffermir, de se rappeler les promesses qui lui avaient été faites, il écoutait ses prophètes qui venaient lui révéler que ses malheurs étaient la suite de ses fautes, mais qu’ils touchaient à leur terme, et que la délivrance approchait. « Mettez la faucille aux blés, lui disaient-ils, car la moisson est mûre. Venez, foulez ! le pressoir est plein, les cuves débordent. » Leur assurance est incroyable, ils annoncent avec des détails infinis « la journée de Jéhovah, la grande et redoutable journée ! » ils ne craignent pas d’être démentis ; ils fixent l’année et le mois où les méchans « seront consumés comme le chaume, » où la peste, la famine, le carnage, désoleront les ennemis du peuple de Dieu, où ils périront en si grand nombre « que pendant sept ans on se chauffera en Israël avec le bois de leurs armes. »

Ces croyances étaient restées vivantes chez les Juifs de tous les pays ; on les conservait pieusement hors de la terre-sainte comme dans la Palestine. Depuis la captivité de Babylone, les Israélites s’étaient répandus dans toute l’Asie, se mêlant aux autres peuples sans se laisser tout à fait absorber par eux. Ils étaient nombreux, surtout dans la grande ville commerciale d’Alexandrie, et parmi cette population cosmopolite, tout occupée d’affaires et d’études, ils se faisaient remarquer par leur industrie et leurs richesses. Là, ils avaient rencontré une séduction puissante à laquelle on ne résistait guère, et, comme tout le monde, ils s’y étaient laissé vaincre.