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volontiers à ne point recevoir l’intérêt de ce capital, si la création du chemin de fer leur procure une plus-value foncière considérable ou leur économise en charrois ou en frais de transport une somme supérieure. De même il est tel port de mer dont la fortune peut se voir sensiblement accrue par un modeste embranchement qui doublera, triplera sa clientèle ; il subira volontiers une perte sur l’exploitation de cet embranchement fréquenté seulement pendant une saison de l’année, car il réalise de gros bénéfices par l’affluence de la population aisée, qu’attire la facilité du voyage. Bref, le chemin de fer d’intérêt local ne saurait être par lui-même une opération financière, et, dans le nombre des lignes concédées, il en est qui réalisent à cet égard les intentions du législateur. La Bourse n’entend point parler d’elles, la spéculation n’y entre pour rien ; on ne se préoccupe pas de la valeur de leurs actions, et quelques-unes, après avoir été pourvues de leurs rails et de leurs gares, se sont livrées pour l’exploitation aux grandes compagnies. Est-ce ainsi qu’ont procédé les entreprises qui dans certains départemens ont soumissionné le réseau local et qui, par fusions et par soudures, en sont venues à se charger de plusieurs centaines de kilomètres ? Les concessionnaires sont complètement étrangers au pays, ils sollicitent le capital de toutes mains, ils n’émettent d’abord qu’un petit nombre d’actions, puis, sans que celles-ci soient libérées, ils ouvrent de larges emprunts, et, profitant de la faveur qui s’attache au titre-obligation, ils couvrent la France d’affiches pour placer les obligations qu’ils créent avec excès. Ce n’est pas tout : l’expérience prouve que l’argent attiré de la sorte ne va pas directement à la construction du chemin de fer, il est arrêté en route, il séjourne dans les banques, dont il partage les risques, et l’on a vu tout récemment des obligations être données en nantissement pour soutenir des jeux de bourse. Un système qui aboutit à de tels agissemens est de tout point vicieux. Il faut que la législation ou la jurisprudence administrative intervienne pour exiger que le capital-actions soit versé avant que l’on puisse émettre des obligations, que ces obligations soient garanties par les produits de l’entreprise ajoutés aux subventions, et que les fonds déposés ainsi que les titres créés soient soustraits aux aventures de la spéculation financière. Ces mesures ne gêneraient pas les véritables chemins d’intérêt local ; elles n’entraveraient que les affaires de banque, qui battent imprudemment monnaie avec les concessions.

On objecte que le législateur n’a point le droit de faire à ce point la police des capitaux, que les souscripteurs d’actions et d’obligations sont majeurs et n’ont pas besoin d’être conseillés dans le choix de leurs placemens, qu’il serait injuste d’imposer aux entreprises d’intérêt local des conditions restrictives qui ne sont pas édictées