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droit. Il espérait ainsi toujours pouvoir, à son heure et à ses convenances, prononcer une parole de paix, d’équité et d’équilibre, et il était convaincu que « cette parole serait écoutée… » L’important pour le moment, c’était que la Prusse engageât le combat, et pour l’y décider il fallait lui procurer l’alliance de l’Italie. Il fallait aussi éviter soigneusement avec la cour de Berlin un débat intempestif sur des combinaisons et des compensations à venir, la moindre insistance sur ce point délicat pouvant froisser les sentimens patriotiques de Guillaume Ier, refroidir son ardeur belliqueuse, écraser dans son œuf tout un monde de grandes choses, novus rerum ordo ! Mieux valait ne rien demander, ne rien promettre, ne rien compromettre. A quoi bon du reste exiger des billets d’un insolvable, prendre des sûretés envers quelqu’un dont le sort paraissait si peu assuré et que, selon toutes les probabilités, on aurait bientôt à protéger, à défendre contre les conditions trop dures que voudrait lui faire son vainqueur autrichien ? ..

Si compliquée et spécieuse que fût la stratégie imaginée par l’empereur des Français, il est hors de doute que M. de Bismarck l’a pénétrée dès le début, qu’il l’a devinée, pressentie en quelque sorte avant même qu’elle ne se fût complètement fixée dans l’esprit de son auteur, et nous avons à cet égard une preuve des plus saisissantes. Au mois d’août 1865, à l’époque où eurent lieu entre les deux gouvernemens de Prusse et d’Italie les premiers pourparlers contre l’Autriche, que vint aussitôt interrompre la brusque conclusion de l’armistice de Gastein, M. Nigra écrivait au général La Marmora, en s’inspirant évidemment des observations de son collègue de Prusse à Paris, le comte Goltz : « Le cabinet de Berlin ne voudrait pas qu’une fois la guerre déclarée et commencée, la France vînt, comme le Neptune de Virgile, dicter la paix, poser des conditions ou convoquer un congrès à Paris…[1]. » Ainsi tout est prévu dans ces quelques lignes écrites bien avant Biarritz, tout jusqu’à ce congrès naturellement qu’un Napoléon III ne pourrait guère manquer de prôner un jour ou l’autre, et qu’il devait en effet mettre en avant au mois de mai J866. « La difficulté consiste donc, poursuit M. Nigra dans sa dépêche, à obtenir de la France une promesse de neutralité absolue. L’empereur Napoléon voudra-t-il ou pourra-t-il faire cette promesse ? voudra-t-il la donner par écrit comme le désire la Prusse ? .. » Cette promesse de neutralité absolue, M. de Bismarck certes ne l’a point obtenue à Biarritz (octobre 1865), encore moins y fut-il question d’un engagement quelconque par écrit ; mais il y apprit d’une bouche auguste que l’Italie avait raison de songer à « compléter son unité, » et ne manquerait sans doute pas

  1. Dépêche de M. Nigra du 8 août 1865. La Marmora, p. 45.