Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/952

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Byzantine du Louvre, que les éditions de Venise et de Bonn (1828-1855) se sont bornées à réimprimer. C’est un Français, Ducange, qui, par ses Familles byzantines, sa Constantinople chrétienne, son Glossaire de la basse grécité, ses éditions annotées de chronographe, a été comme le fondateur de cette branche de l’histoire. Le moyen âge hellénique en notre siècle a été trop dédaigné parce qu’il n’était pas assez connu : c’est par lui cependant que la Grèce antique, objet de nos enthousiasmes, se rejoint à la Grèce moderne, chère à nos philhellènes. Par les croisades, par l’empire latin de Constantinople, par la principauté française de Morée, par les royaumes français de Macédoine, de Chypre et d’Arménie, il est intimement lié à nos propres annales. Au XVIe siècle, c’est à cette Grèce byzantine que nous avons dû notre renaissance. N’est-il pas curieux d’ailleurs de savoir comment le seul survivant des grands peuples de l’antiquité a pu garder sa langue, se maintenir sur le sol natal pendant tant de siècles et contre tant d’ennemis ? Les Grecs d’aujourd’hui commencent à comprendre tout ce qu’ils ont d’honneur à acquérir par cette reconstitution de leurs annales, et quel service ils rendront par là, non seulement à la cause universelle des études classiques, mais à leur propre cause ! L’indépendance est acquise, la liberté est fondée, il reste maintenant à rattacher le présent assuré au passé lointain. M. Sathas, qui entreprend pour la Grèce ce que Pertz a fait pour l’Allemagne en publiant ses Monumenta historica germanicœ, cite avec reconnaissance en tête de sa collection les noms des généreux citoyens qui ont voulu contribuer à l’édification d’un monument national. Bien que la chambre des députés vote annuellement des fonds pour cette publication, les Grecs savent que les finances du royaume sont limitées ; ils tâchent d’y suppléer par l’initiative privée. C’est là un signe infaillible de virilité politique. Nous pouvons constater avec satisfaction que la France, toujours sympathique à la Grèce, ne s’est point abstenue. À Paris, non plus que dans son propre pays, les encouragemens n’ont pas manqué à M. Sathas. Si quelques-uns de ses travaux ont été honorés de divers prix par l’Académie d’Athènes, il a été trois fois couronné par notre « association pour le progrès des études grecques. » Le ministère français de l’instruction publique, comme le ministère hellénique, lui est veau en aide par ses souscriptions. La publication entreprise par M. Sathas, poursuivie sous nos yeux, sortie en partie de presses parisiennes, éditée par la librairie hellénique et orientale de Maisonneuve, a donc jusqu’à un certain point un caractère international, gréco-français, et c’est encore avec le concours d’un des nôtres qu’il nous donne aujourd’hui l’épopée du gardien de la frontière romaine, le bon chevalier Digénis Akritas.


ALFRED RAMBAUD.