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nieurs hydrographes qui suivaient d’un œil anxieux les péripéties de ce drame, roulait 15,000 mètres cubes d’eau à la seconde. Les arches du pont avec les lunettes qui les surmontent, ne pouvant en laisser échapper que les deux tiers, 5,000 mètres cubes d’eau devaient chercher une autre issue. Cette issue fut naturellement le faubourg Saint-Cyprien, dont le niveau est un peu plus bas que celui de Toulouse. En un instant, le quai Dillon fut atteint, et le trop-plein du fleuve, se déversant aussitôt en avalanches irrésistibles, alla rejoindre les eaux venues d’amont. Dès lors le sinistre était à son comble. Les deux torrens, on pourrait dire les deux fleuves, réunissant leurs forces de dévastation, n’eurent plus qu’à broyer à l’aise cette malheureuse cité. La nuit approchait, nuit de fièvre et d’angoisses inexprimables pour cette population de 125,000 âmes qui s’appelait d’une rive à l’autre sans pouvoir se secourir. La pluie qui persistait avec un caractère inquiétant achevait de tout assombrir. Bientôt l’obscurité fut complète dans le faubourg, car au milieu d’un tel désarroi il n’était plus question d’allumer le gaz. À tant de causes qui rendaient le sauvetage impossible venait s’en ajouter une nouvelle, la plus redoutable de toutes : la plupart des maisons, par un vice de construction sur lequel je reviendrai, s’écroulaient sur place, ensevelissant leurs habitans et remplissant les rues de leurs débris. L’autorité militaire, jugeant qu’il était inutile d’exposer plus longtemps la vie des soldats qui parcouraient ces malheureux quartiers, fit sonner le signal de la retraite. On sait que plusieurs, emportés par la fièvre du dévoûment, ne voulurent pas obéir à l’appel de leurs chefs, et que quelques-uns payèrent de leur vie ce généreux refus.

Cependant les bateliers, aidés de quelques hommes courageux qui avaient fait le sacrifice de leur existence, continuaient à travailler au sauvetage malgré les obstacles de toute sorte qui entravaient leurs efforts. Les habitans, réfugiés aux chambres du second étage, appelaient au secours, de leurs fenêtres, dès qu’ils apercevaient une barque. Celle-ci s’accrochait comme elle pouvait à l’aide de cordages aux becs de gaz, aux balcons ou aux fenêtres et recevait ainsi les malheureux inondés, qui souvent étaient obligés de descendre le long d’un drap de lit fixé à la fenêtre de l’habitation. Malheureusement il devenait de plus en plus difficile de diriger une embarcation dans ce fouillis de maisons éventrées, de rues changées en torrens, d’épaves de toute sorte qui venaient heurter le bateau ; il arrivait trop souvent que ce dernier, poussé par un tourbillon, venait frapper contre un mur et chavirait, entraînant sauveteurs et naufragés. Peu d’entre eux revenaient à la surface. Ainsi périt l’infortuné marquis d’Hautpoul, et d’autres dont les noms sont restés obscurs. Les chances de la lutte devenant de la sorte de