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marine, expédiaient leurs navires dans un état de délabrement et de dénûment tel que l’humanité faisait un devoir aux commandans de station de les refondre de fond en comble, sans qu’il en coûtât un sou aux intéressés. Aujourd’hui les choses ne se passent pas tout à fait ainsi. L’administration de la marine impute au navire de commerce le prix des matériaux à lui fournis par le navire de guerre ; cependant ce prix est toujours calculé au plus bas chiffre de revient.

On se tromperait singulièrement du reste en s’imaginant que les armateurs et les capitaines considèrent toujours comme très avantageuse cette faculté de pouvoir faire remettre leurs navires en état. Souvent au contraire l’arrivée d’un bâtiment de guerre dans une baie où il n’était pas attendu fait manquer une petite spéculation aussi lucrative que peu honnête, pour ne pas dire plus. Ainsi par exemple un navire assuré par une ou plusieurs compagnies a subi quelques avaries plus ou moins graves, à la suite desquelles il entre en relâche dans un fiord. Dans ce fiord, les moyens de réparations lui manquent absolument, et, tel quel, il ne peut reprendre la mer sans danger. Le capitaine s’adresse alors aux autorités locales. Des experts sont nommés, ils constatent l’état du navire et l’impossibilité d’y porter remède, faute de moyens suffisans ; un procès-verbal est rédigé en ce sens, et le navire est condamné, puis vendu comme épave. L’armateur s’adresse alors à la compagnie d’assurances pour obtenir le paiement de sa prime, qui lui est immédiatement comptée. Quant au navire, l’acheteur se procure quelques planches et quelques bouts de bois à l’aide desquels on le met en état de faire une courte traversée dans la belle saison, et on l’expédie ensuite en Suède ou en Norvège, où il est complètement remis à neuf. J’ai vu moi-même dans un fiord du nord un lougre qui avait bien dû coûter 30,000 ou 40,000 francs ; il avait été condamné douze ans avant mon arrivée, vendu aux enchères et acheté 1,500 francs par un Danois. Celui-ci l’avait envoyé en Norvège, où il avait subi une réparation qui n’avait pas atteint le chiffre de 3,000 francs. Depuis lors il naviguait et naviguera probablement très longtemps encore, n’ayant coûté en somme au propriétaire que 4,500 francs.

L’arrivée d’un bâtiment de guerre, lorsqu’elle a lieu au moment où un capitaine s’adresse ainsi aux autorités locales pour obtenir la condamnation de son navire, change la face des choses. Le commandant du bâtiment de guerre proposera en effet au capitaine marchand de réparer ses avaries. Celui-ci pourra bien refuser cette offre, qu’on ne peut lui imposer ; seulement, en ce cas, d’une part les experts islandais, qui concluent simplement à l’impossibilité de