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leur compagnie ; mais je craignais beaucoup que, dans une maison étrangère médiocrement montée, et telle était celle qu’on pouvait attribuer aux Montesparre, je ne fusse contraint à subir la table commune. J’ai perdu ces préjugés, mais je les avais alors, et l’idée de m’asseoir à côté du palefrenier ou de la laveuse de vaisselle me causait un dégoût profond. Je ne pus me défendre de le dire à M. le comte. — Charles, me répondit-il, ce sont là de fausses délicatesses. Beaucoup de personnes haut placées dans le monde sentent plus mauvais que l’évier, et, quant à l’écurie, c’est une odeur saine et qu’un gentilhomme ne craint pas. Donc vous vous en accommoderez, s’il y a lieu. Ensuite écoutez bien ceci : vous devez avoir un jour ma confiance absolue ; c’est à vous de la mériter. Eh bien ! la vie est un tissu de périls pour l’honneur et la raison d’un homme impressionnable comme je le suis. La vérité sur le fond des choses est presque impossible à obtenir dans un monde où la politesse est de mentir et le dévoûment de se taire. Savez-vous où l’on découvre la vérité ? C’est à l’antichambre et surtout à l’office : c’est là qu’on nous juge, c’est de là qu’on nous brave, c’est là qu’on parle sans ménagement et que les faits sont brutalement enregistrés. Donc le devoir d’un homme qui me sera véritablement dévoué sera d’entendre et de recueillir l’opinion des domestiques partout où il se trouvera avec moi. Je ne vous demanderai jamais rien de ce qui concerne les autres ; mais ce qu’on dira de moi, je veux le savoir. Soyez donc toujours en mesure de m’éclairer quand j’aurai recours à vous.

Il me sembla en ce moment que M. de Flamarande, en ayant l’air de me rapprocher de lui, tendait, sans s’en rendre compte, à m’avilir ; mais cette pensée, qui me revient sérieuse aujourd’hui, ne fit alors que traverser mon esprit. L’amour-propre l’emporta ; je me promis, avec une sorte d’orgueil, d’être au besoin espion au service de mon maître, et je ne fis plus d’objection.

En même temps je me demandai naturellement de qui ou de quoi M. le comte se méfiait au point d’avoir besoin d’un espion ; j’avais beau lui chercher des ennemis, je ne lui en connaissais pas encore. Il fallait donc qu’il fut tourmenté par la jalousie conjugale. Je ne me trompais pas.

Mais de qui pouvait-il être jaloux ? S’il l’était de tout le monde, pourquoi produisait-il madame avec tant d’éclat ? J’aurais compris qu’il tînt son trésor caché. Point ! il étalait l’opulence de son bonheur et voulait faire des jaloux, sans songer qu’il se condamnait à l’être le premier.

Je n’ai jamais connu d’homme plus logique et plus illogique en même temps, logique en détail, c’est-à-dire lorsqu’il appliquait son