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FLAMARANDE.

conçut une joie folle, et vint s’en vanter à monsieur, qui parut prendre fort bien la chose, mais qui me dit, dès que nous fûmes seuls : — Voilà qui résout la question, Charles ! cet enfant n’est pas de moi.

— Monsieur le comte croit pouvoir affirmer que cela est impossible ?

— Non, ces choses-là ne peuvent jamais s’affirmer que dans le cas d’absence ; mais je suis marié depuis six mois, je suis souffrant au point d’avoir peu d’espoir d’être père avant parfaite guérison. Ma femme réalise cet espoir juste au moment où je surprends un homme dans son appartement. Il y a de quoi réfléchir. Je réfléchirai !

Il se mit en effet à réfléchir beaucoup, pendant que madame se livrait à la joie avec une candeur qui tantôt me persuadait, tantôt me surprenait comme une audace exorbitante.

— Charles, me dit un soir M. le comte, j’ai réfléchi. C’est à vous de me renseigner sur la question légale. Votre père était très fin en affaires, vous devez l’être aussi. Quel est le moyen d’éluder une paternité dauteuse ? Il doit y en avoir plusieurs.

— Il n’y en a pas un seul, monsieur le comte, à moins de quelque crime dont la pensée ne vous est sans doute jamais venue.

— Soyez tranquille, je ne suis pas un héros de mélodrame. Je méprise les choses tragiques, et ne connais rien de bête comme le crime ; mais je n’appelle pas crime la résistance à une loi inique, ma conscience proteste contre l’obligation de transmettre mon nom et ma fortune à l’enfant dont je ne suis pas certain d’être le père.

— Mais dans le doute, monsieur le comte…

— Le doute est pire que la certitude. Si j’avais la certitude, je réaliserais ma fortune, je ferais un sort à la comtesse et je m’expatrierais résolument. Avec le doute, il faut que j’aie des égards pour elle ou que je sois universellement blâmé, car aucun époux n’a de certitude, et le doute est un état normal dont tous savent prendre leur parti.

— Et vous ne voulez pas prendre le vôtre ?

— Jamais ! Je suis l’homme de la stricte équité. J’ai été élevé dans ces idées-là. Je ne veu x pas subir la loi avilissante que les autres acceptent lâchement. Voyons, y a-t-il moyen de cacher la naissance de l’enfant et de ne point le faire inscrire aux registres de l’état civil sous mon nom ?

— Non, monsieur le comte, il n’y a pas moyen sans risquer des peines qui ébruitent le secret.

Et je lui donnai une consultation en règle avec les textes de lois.

— Je savais vaguement tout cela, reprit-il, et depuis quelques