Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/521

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
515
FLAMARANDE.

elle aura le loisir de ne s’occuper que de l’enfant, et la voilà qui coud des brassières et brode des petits bonnets. Et puis elle veut s’instruire, car elle compte faire la première éducation, et à présent elle lit, elle fait des extraits, elle dessine, elle tapote son piano ; enfin c’est la plus heureuse des créatures. Ah ! que Dieu lui a fait une grande grcâce en la créant si simple !

— Vous voulez dire, comme disent toutes les femmes, qu’elle manque d’esprit et de jugement ?

— Eh bien ! répondait Julie, est-ce que ce n’est pas aussi votre opinion ? M. le comte l’a choisie comme cela pour avoir à lui seul tout l’esprit du ménage ; c’est bien dans son caractère.

La grossesse de madame devenait très apparente, lorsque M. le comte décida qu’on irait passer l’hiver à Sévines, près d’Orléans, au bord de la Loire. Il ne donna aucune raison de ce changement de domicile. Madame n’en demanda pas et fit ses malles. — Je serai heureuse partout, disait-elle à Julie. Est-ce que je ne porte pas mon trésor avec moi ?

Quoique dans un pays riant et luxueux, Sévines était un endroit fort triste ; ce grand fleuve déroulé en pays plat, avec de larges rives sablonneuses, ne valait pas la vue des falaises. Le parc était vaste et fort beau pour ceux qui aiment l’humidité des grands ombrages ; mais, dépouillés de leurs feuilles et peuplés de corbeaux, ils étaient mortellement ennuyeux à regarder. M. le comte n’était pas venu à Sévines depuis la mort de son père. Son premier soin fut d’aller au cimetière de la paroisse pour visiter sa tombe, ce qui surprit les domestiques. Le cocher, qui était un des anciens de la maison, me dit, en le voyant agenouillé sur cette pierre : — Si M. le comte dit à présent des paroles douces à monsieur son père, ce seront les premières que le vieux aura reçues de lui. Je veux croire qu’ils s’aimaient, mais ils avaient le même goût pour la dispute et se querellaient toujours.

XIX.

Le comte me dit quelques jours après : — Charles, il faut vous mettre en route et trouver une nourrice pour l’aimable héritier que l’on me destine. Faites un bon choix. Je souhaite que l’enfant ne souffre de rien, mais il faut que cette nourrice ne soit pas de la localité et n’y soit connue de personne. Payez-la très cher et annoncez-lui qu’elle auraà m’obéir aveuglément et sans réplique. — J’hésitais ; j’avais peur, je l’avoue, des projets de mon maître. Je lui déclarai qu’avant de les mettre à exécution je voulais les connaître. — Soit, répondit-il ; tout cela est bien simple. Il faut que cette nourrice soit une veuve ou une fille mère, qu’elle n’ait pas de famille