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FLAMARANDE.

— Enlever un enfant à sa mère ! Et si elle n’est pas coupable ? Si on a pris son bouquet sans qu’elle le sût ? si on est entré chez elle sans qu’elle s’en doutât ? si cet enfant est le vôtre ?

— Je n’en puis être sûr, tant pis pour elle ! Une femme d’esprit sait toujours empêcher un homme de concevoir des espérances et de troubler la quiétude du mari ; mais c’est trop discuter. Je suis venu m’établir ici pour être dans le véritable sanctuaire de mes souvenirs. C’est ici que j’ai fermé les yeux de ma mère, la femme sans reproche et sans faiblesse. Elle m’approuverait aujourd’hui et mon père m’aiderait. Refusez-vous de m’aider, Charles ?

— J’obéirai, monsieur le comte, mais à une condiiion essentielle : c’est que vous signerez la déclaration que j’ai préparée après mûre réflexion, pour votre décharge et pour la mienne, au cas où nous serions découverts.

Voici ce que j’avais préparé : « Moi, comte Adalbert de Flamarande, je déclare que Louis-Gaston de Flamarande, mon fils, est envoyé par moi dans le midi pour y être élevé dans les conditions d’hygiène particulières que je crois nécessaires pour le préserver du mal héréditaire dont mon père est mort, et dont j’ai soulfert toute ma vie. En faisant le sacrifice de l’éloigner momentanément de moi, je crois remplir mon devoir envers lui. »

Le comte hésita beaucoup à signer cette petite page. Elle lui semblait hypocrite et lâche. Il prétendait ne pas vouloir mentir. Je lui dis qu’en faisant passer l’enfant pour mort il mentirait bien davantage. — Non pas, reprit-il. Un accident subit comme celui dont je voulais profiter me dispensait du mensonge, tandis qu’il me faudra inventer je ne sais quel autre sinistre.

— Eh bien ! obligez madame à consentir à la séparation. Persuadez-lui que la vie de son enfant l’exige pour les raisons que j’ai spécifiées dans la déclaration. Ce sera moins cruel quand vous lui direz, dès que vous la verrez en état de recevoir le coup, que cet enfant à peine connu d’elle est mort loin d’elle.

— Non, non ! s’écria le comte. Je veux qu’elle le pleure amèrement. C’est là le châtiment, et il n’est que trop doux.

Puis, regardant d’un air sinistre le fleuve couleur de plomb qui reflétait un ciel gris et bas : — Il pleuvra encore, dit-il, et la Loire monte toujours ! Évidemment le ciel est pour moi et avec moi. Donnez-moi cette déclaration, puisqu’il faut cacher le motif de ma vengeance pour en assurer l’effet !

XX.

Il la signa, et je promis de lui obéir. Ce qui me décida, c’est que j’avais la femme sous la main et que j’étais sûr d’elle. C’était une