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gneurs d’aujourd’hui ne vivent plus comme ceux d’autrefois, mais ils tiennent à leurs vieux châteaux, et une tour sans mâchicoulis ça n’a plus l’air de rien.

— Eh bien ! dit Ambroise, ne faisons pas de toit et n’utilisons pas le donjon ; mais réparons-le pour que vous ne viviez plus dans le danger. Avec cinq cents francs, je me charge non pas de remettre ce qui manque, mais de faire tenir ce qui reste. J’ai mon cousin le maçon qui travaillera ça pour le mieux.

Quand Yvoine flairait un marché quelconque, il était ardent et tenace. Il voulut absolument m’engager à faire affaire avec lui, et je fus forcé de lui dire que j’en parlerais à M. le comte.

— Laisse donc M. Charles tranquille, lui dit Michelin. Tu es fou de croire que M. le comte voudra dépenser quoi que ce soit pour une ruine où il est venu une fois, et où il ne reviendra sans doute jamais.

— Eh bien ! reprit Ambroise avec feu, s’il est indifférent à M. le comte que vous soyez écrasés par les ruines de son manoir, cela vous fait quelque chose à vous autres. Écoutez, père Michelin, chef de la famille, vous n’avez pas l’intention de faire estropier votre monde. Donnez-moi le droit d’habiter le donjon pour le restant de mes jours, et je le répare à mon compte sans qu’il vous en coûte un sou.

— Voilà une drôle d’idée, répondit le vieillard. Tu demeurerais quelque part, toi ?

— Je suis las de vivre sur les chemins et de coucher souvent à la fraîche étoile. Me voilà vieux, sans famille, et je n’en suis pas à demander l’aumône. Laissez-moi demeurer auprès de vous. Je paierai mon loyer en tenant la tour en bon état de réparation, et, pour la nourriture, je vous fournirai plus de gibier que vous n’en pourrez manger.

— Si j’étais le maître, reprit le vieux Michelin, je ne dirais pas non : tu es un bon vieux diable, et tu ne nous gênerais point ; mais je ne sais pas si j’ai le droit de louer un des bâtimens du château.

M. Charles est là pour vous le dire, repartit maître Yvoine.

— Vous avez parfaitement le droit, dis-je à Michelin, de souslouer les bâtimens inutiles à votre exploitation, surtout à un honnête homme comme Yvoine.

XXXIV.

— Merci, monsieur Charles, dit le maquignon en me regardant de cet air qui lui était particulier, moitié amical, moitié ironique, et que j’interprétais selon l’impression qu’il faisait sur moi.