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FLAMARANDE.

forme blanche traverser la Loire furieuse en marchant tranquillement sur les eaux avec un petit enfant dans les bras, comme on représente la sainte Vierge. D’abord elle avait cru à un miracle ; mais, en y réfléchissant, elle croyait se souvenir d’avoir trouvé une ressemblance entre la silhouette de cette apparition et la tournure de la Niçoise. D’autres se mirent à raconter leurs rêves, et madame, tournant aussi à la superstition, alla consulter une somnambule à Orléans.

Il se passa là une chose bien extraordinaire dont il me fut rendu compte, et qui renouvela mes perplexités.

La somnambule dit à madame qu’elle voyait un enfant mort depuis trois jours, couché dans l’herbe pourrie d’un étang qu’elle ne sut pas nommer, et qu’elle décrivit de la façon la plus vague. Madame ne put rien lui faire préciser, et le magnétiseur demanda à la somnambule si l’enfant était bien mort depuis trois jours, et si ce n’était pas trois ans qu’elle avait voulu dire, à quoi elle répondit qu’elle ne voyait plus rien et n’était pas bien lucide ce jour-là. Il lui faudrait, reprit l’opérateur en s’adressant à la comtesse, pouvoir toucher un objet ayant appartenu à l’enfant, un bonnet, une mèche de cheveux. La comtesse tira de son sein le petit bonnet retrouvé dans le parc, pauvre relique qu’elle s’était fait donner et qu’elle ne quittait plus. Alors la somnambule parut retrouver sa lucidité. « Je vois, s’écria-t-elle. Il n’a pas été pris par les eaux. Il a été emporté par un homme, un homme bien mis. — Ah ! je vois une voiture, et un autre homme qui emmène l’enfant et qui roule vite, vite ; le cheval tombe, il est mort ; mais l’enfant est emmené plus loin, toujours plus loin, cela se perd, je ne peux plus les suivre, je ne vois plus rien ; je souffre, j’étouffe, je veux qu’on me laisse dormir ou qu’on m’éveille. »

On n’en put tirer davantage ; mais madame, se promettant de renouveler l’épreuve, rentra comme affolée de joie. Elle s’était fait accompagner de Julie, par qui je connus exactement ce qui s’était passé. Madame avait tout noté avec soin, même l’incident du cheval mort, et à plusieurs reprises elle demanda à Julie si un des chevaux de la maison avait disparu également dans la nuit fatale. Julie, embarrassée et ne se souvenant pas, prit sur elle de m’appeler.

— Charles, me dit la comtesse, combien y avait-il de chevaux dans les écuries avant le jour de mon malheur, et combien en restait-il le lendemain ?

Je répondis que je n’en savais rien, puisque j’étais absent au moment de la catastrophe.

— Eh bien ! reprit-elle, envoyez-moi Joseph, il le saura bien. — Et puis, se ravisant : — Attendez, dit-elle, il y en avait un très beau,

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