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FLAMARANDE.

Il était occupé à enlever ces amorces lorsque je vis ariver Ambroise, portant une petite fille d’environ six ans sur son bras. L’enfant était charmante. Ambroise imitait le galop d’un cheval pour la faire rire, et la petite, faisant semblant d’avoir peur, enfonçait ses petites mains dans la crinière grise et crépue du bonhomme. Espérance, qui s’était un peu éloigné, revint à eux et se retrouva près de moi. La petite sauta à son cou et j’entendis qu’il l’appelait Charlotte. C’était ma filleule, celle qui était née la nuit où j’avais abandonné Gaston dans la crèche de Michelin.

— Allons, dit Ambroise, il faut rentrer, enfans. M. Alphonse est au château et trouve que le gars Espérance reste trop longtemps dehors pour un malade.

— Je ne suis plus malade, répondit Espérance. Tiens, je vais porter Charlotte.

— Non pas, non pas ! Dans quinze jours, à la bonne heure. Donnez-vous la main et passez devant, ou je tape. — Et il leva son bâton, ce qui fit rire les enfans, habitués à la plaisanterie.

Ces gens me firent envie. Ils paraissaient si heureux ! plus heureux que moi à coup sûr. Dès que je fus seul, j’allai à la recherche des miettes de pain rassemblées par Espérance et jetées parmi les luis. Je ne trouvai rien, et un instant j’eus l’idée de reprendre Xespelunque pour satisfaire ma faim au Refuge. Une répugnance invincible, scrupule bien exagéré de ma conscience troublée, m’en empêcha. J’appelai à mon aide toutes les forces de ma volonté, et je réussis à marcher une partie de la nuit pour gagner Murât par la percée du Liorant. Je tenais à prendre un chemin nouveau à chacun de mes voyages à Flamarande.

LII

Comment je regagnai Paris après tant de fatigue et d’agitation morale, je n’ai pas à le raconter. Ceci ne concerne que moi ; d’ailleurs j’ai la mémoire trouble à l’endroit de cette partie de mon voyage. J’avais une fièvre violente, et je dus me meitre au lit en arrivant. Je fus très sérieusement et assez longtemps malade. M. de Flamarande était toujours en Angleterre, et semblait vouloir s’y fixer. Il avait mal pris, comme on peut croire, la révolution de février, et il ne voulait pas entendre à l’éventualité de l’empire. Il ! n’était pas plus d’accord avec les légitimistes, qu’il trouvait trop constitutionnels. Il ne concevait en politique qu’une monarchie absolue avec la prédominance du clergé. Il était brouillé avec son monde et se déplaisait partout en France. Il aimait mieux protester contre toutes choses par son absence, et se tenir à l’étranger en position d’émigré volontaire. Mme de Flamarande était à Ménouville