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passer tous leurs instans de loisir à observer les progrès de l’édifice, de l’asile d’aliénés, comme ils l’appelaient, qui s’enchâssait admirablement dans ce cadre agréable formé par les chênes verts et les bouquets de sapins. Enfin il n’y eut plus qu’à meubler la maison. Cyrus Hawkins montra en cette circonstance une prodigalité folle ; il fit venir à grands frais de Sacramento des tapis, des sofas, des miroirs et finalement un piano, le seul qui eût jamais existé dans le comté. Outre les meubles, il y avait des bagatelles que quelques mineurs mariés déclarèrent ne pouvoir servir qu’à des femmes. L’ameublement prit deux mois, pendant lesquels le camp tout entier fut en révolution ; puis Hawkins ferma la porte, mit la clé dans sa poche et retourna tranquillement habiter son ancienne cabane.

Jusque-là, on s’était accordé à penser que la sorcière, à force de réserve systématique, avait atteint son but, le mariage, et que la maison neuve devait sans retard recevoir l’heureux couple. Lorsqu’on vit que ce nid luxueux restait vide, il parut certain que le fou était encore une fois déçu dans ses espérances. L’indignation publique devint telle que, si la capricieuse créature qui outrageait le camp dans la personne d’un de ses membres se fût, après deux mois d’attente, décidée à paraître, on lui eût fait sans doute quelque avanie ; mais elle ne parut point, et Hawkins ne répondit pas plus que par le passé aux questions insidieuses : pourquoi il n’occupait pas sa maison, pourquoi il ne la louait pas ? — Rien de plus simple. Il n’était guère pressé de déménager et voulait, le jour où la fantaisie lui viendrait de le faire, trouver son logis libre, tout préparé pour le recevoir. — Souvent, le soir, on le voyait fumer un cigare sous la vérandah. Une fois même la maison fut éclairée brillamment de la cave au grenier. Un voisin, qui le premier remarqua cette illumination, alla regarder par une fenêtre ouverte et aperçut le fou qui, vêtu d’un habit noir, semblait faire les honneurs de son salon à des invités imaginaires. Lorsque cette nouvelle histoire se répandit, quelques esprits positifs admirent tout simplement l’hypothèse que M. Hawkins se dressât lui-même au rôle de maître de maison en vue de réceptions futures ; mais d’autres préférèrent croire que la maison fût hantée. L’éditeur des Annales de Five-Forks imagina une légende romanesque à ce sujet : la fiancée de Hawkins était morte, et il recevait régulièrement la visite de son spectre dans cet élégant mausolée. — L’apparition éventuelle de la haute silhouette du fou arpentant la vérandah au clair de lune prêta quelque vraisemblance à ce récit jusqu’à ce qu’un incident tout imprévu eût changé le cours des conjectures.

Vers ce même temps, une vallée sauvage des environs de Five-