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alors, parce que dix ans après son veuvage on crut s’apercevoir que ce solitaire avait des relations suspectes avec sa servante. Pour cela, la servante fut réprimandée et Rembrandt passablement décrié. À ce moment d’ailleurs, tout tournait mal, fortune, honneur, et quand il quitte le Breestraat, sans gîte, sans le sou, mais en règle avec ses créanciers, il n’y a plus ni talent ni gloire acquise qui tienne. On perd sa trace, on l’oublie, et pour le coup sa personne disparait dans la petite vie nécessiteuse et obscure d’où il n’était, à dire vrai, jamais sorti.

En tout, comme on le voit, c’était un homme à part, un rêveur, peut-être un taciturne, quoique sa figure dise le contraire; peut-être un caractère anguleux et un peu rude, tendu, tranchant, peu commode à contredire, encore moins à convaincre, ondoyant au fond, raide en ses formes, à coup sûr un original. S’il fut célèbre et choyé et vanté d’abord, en dépit des jaloux, des gens à courte vue, des pédans et des imbéciles, on se vengea bien quand il ne fut plus là.

Dans sa pratique, il ne peignait, ne crayonnait, ne gravait comme personne. Ses œuvres étaient même, en leurs procédés, des énigmes. On admirait non sans quelque inquiétude; on le suivait sans trop le comprendre. C’était surtout à son travail qu’il avait des airs d’alchimiste. A le voir à son chevalet, avec une palette certainement engluée, d’où sortaient tant de matières lourdes, d’où se dégageaient tant d’essences subtiles, ou penché sur ses planches de cuivre et burinant contre toutes les règles, — on cherchait, au bout de son burin et de sa brosse, des secrets qui venaient de plus loin. Sa manière était si nouvelle, qu’elle déroutait les esprits forts, passionnait les esprits simples. Tout ce qu’il y avait de jeune, d’entreprenant, d’insubordonné et d’étourdi parmi les écoliers peintres courait à lui. Ses disciples directs furent médiocres; la queue fut détestable. Chose frappante après l’enseignement cellulaire que je vous ai dit, pas un ne sauva tout à fait son indépendance. Ils l’imitèrent comme jamais maître ne fut imité par des copistes serviles, et bien entendu ne prirent de lui que le pire de ses procédés.

Était-il savant, instruit? Avait-il seulement quelque lecture? Parce qu’il avait l’esprit des mises en scène, qu’il toucha à l’histoire, à la mythologie, aux dogmes chrétiens, on dit oui. On dit non, parce qu’à l’examen de son mobilier on découvrit d’innombrables gravures et presque pas de livres. Était-ce enfin un philosophe comme on entend le mot philosopher. Qu’a-t-il pris au mouvement de la réforme? A-t-il, comme on s’en est avisé de nos jours, contribué pour sa part d’artiste à déchirer les dogmes et à révéler les côtés purement humains de l’Évangile? Aurait-il intentionnellement dit son mot dans les questions politiques, religieuses,