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l’Angleterre, dont la tentative criminelle et vaine de Northumberlaud avait révolté les sentimens de loyauté. Quand elle descendit dans la tombe, ce fut au bruit des malédictions universelles. Dans l’espace de cinq ans, elle avait réussi à se faire exécrer ; le trésor était vide, Calais était perdu, et la persécution avait à jamais séparé l’Angleterre de Rome. Le règne de la souveraine catholique n’avait tenu aucune de ses promesses, et la prédiction de Latimer entourant dans les flammes s’était réalisée : la torche de la nouvelle doctrine ne devait plus s’éteindre.

La femme au moins offre-t-elle plus de matière à la poésie que la reine ? Dans cette destinée incomplète est-il quelque place pour le drame des passions nobles ou tragiques ? Si l’on s’en rapportait aux écrivains qui ont tracé le portrait et raconté la vie de Marie Tudor, il serait permis d’en douter. Elle avait trente-huit ans lorsque Édouard VI mourut. Petite, mal conformée, le visage blême et tiré par la maladie, maigre, montrant déjà les symptômes de l’hydropisie qu’elle avait héritée de son père, elle avait la vue basse et, avec la voix d’un homme, le goût de l’homme pour la viande et la forte nourriture. Dans ce corps déplaisant, que n’accompagnait aucune grâce féminine, une intelligence étroite était logée ; si elle savait plusieurs langues, elle ignorait en revanche la science la plus nécessaire aux princes, celle des hommes, ainsi que l’art de se plier aux circonstances. Une parfaite indifférence pour les conséquences de ses actes, une persévérance obstinée dans les résolutions qu’elle croyait bonnes, tel était le principal trait de son caractère. Par instinct et par tempérament, ardente catholique comme sa mère, elle ne mêlait à sa foi aucune réserve mentale, et sans tenir compte de ses intérêts personnels ou de ceux du royaume, elle allait jusqu’au bout de ses volontés. Tant que la reine Catherine avait vécu, Marie avait bravé la colère de Henry VIII. À la mort de sa mère, elle avait accepté les changemens introduits dans la constitution de l’église, n’y voyant qu’une question de politique où sa conscience n’était pas intéressée. Pourquoi, une fois maîtresse, se crut-elle obligée de combattre la réformation, à laquelle elle s’était soumise comme sujette ? Pourquoi oublia-t-elle qu’elle devait sa couronne autant aux protestans qu’aux catholiques ? Peut-être est-ce au temps malheureux où elle vécut qu’il faudrait demander la réponse à cette question. À une autre époque, a dit un historien moderne, Marie aurait pu devenir une bonne reine ; mais la fatale superstition qui confondait alors la religion avec l’orthodoxie avait trop d’empire sur son âme et fut la plus forte. De là les premières persécutions et la lutte où elle s’engagea avec une raideur qui effrayait Charles-Quint lui-même.

À quelque point de vue que l’on se mette, le personnage de