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prix de 15 millions. Cette proposition paraissait séduisante. Nôtre établissement en Cochinchine était accueilli par l’indifférence ou même l’hostilité de l’opinion. Liquider cette entreprise avec une indemnité, c’était sortir d’un mauvais pas avec les honneurs de la guerre, et qui peut dire que le gouvernement n’hésita pas ! Certes, en ne consultant même que nos intérêts les plus immédiats et les plus étroits, nous eussions fait une mauvaise affaire, puisque quelques années de paix devaient suffire pour nous rembourser de nos dépenses en nous laissant la colonie avec tout son avenir ; cependant qui prévoyait alors un tel résultat ? Le ministre de la marine peut-être. C’était alors un homme très studieux, très intelligent et d’un esprit très distingué ; mais les ministres de la marine, dans les conseils des gouvernemens, portent généralement la peine de leur spécialité : cette spécialité comprend, dit-on, le goût des possessions lointaines, dont se défient toujours les ministres chargés de la politique intérieure. Les propositions des envoyés cochinchinois ne furent donc pas écartées péremptoirement, et l’on vit le moment où l’effort de nos soldats, l’intelligence et le courage de nos officiers seraient trahis par l’abandon de la colonie qu’ils s’efforçaient de nous conquérir. Comment et pourquoi cette négociation n’eut-elle pas l’issue désastreuse que les diplomates asiatiques avaient ménagée ? Les événemens déconcertèrent leur adresse ; loin d’abandonner notre conquête, nous fûmes conduits à la consolider.

Les gouverneurs successifs de la colonie prenaient leur mission au sérieux. Ils en poursuivaient l’accomplissement sans se laisser détourner du but par les hésitations du gouvernement de Paris. Aux menées des mandarins ils répondirent par l’extension de notre autorité.

Il existe sur la rive droite du Mékong un royaume, ou plutôt les restes d’un royaume, qui fut autrefois florissant. La nation des Cambodgiens l’avait fondé, et elle occupait une vaste étendue de pays. Les ruines de monumens grandioses qu’elle y a laissés démontrent son ancienne puissance ; mais elle est aujourd’hui bien déchue. Pressé entre deux empires, le Siam et l’Annam, le Cambodge s’est vu enlever ses provinces tantôt par l’un, tantôt par l’autre de ses redoutables voisins. Quand nous sommes arrivés en Basse-Cochinchine, cette partie du pays venait d’être conquise par les Annamites, qui s’efforçaient de la coloniser. Il ne restait plus au faible roi du Cambodge que quatre provinces peu étendues, mal administrées, exploitées avec une cupidité ruineuse, mais importantes pour nous par leur situation sur les bords du grand fleuve, dont elles occupent la rive droite, juste en face de notre territoire. Cette agonie de l’ancien royaume cambodgien était épiée par les Siamois.