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mécontentement de l’Angleterre. En même temps que le prince Gortchakof faisait remettre au cabinet anglais une réponse dont les conséquences inévitables étaient trop faciles à prévoir, il envoyait à Vienne en mission particulière le négociateur même du traité de San-Stefano, le général Ignatief, chargé de pressentir le cabinet de Vienne sur les modifications qui pourraient le satisfaire.

L’objet de cette mission ne pouvait échapper à lord Beaconsfield, qui comprit que le plus sûr moyen d’empêcher le cabinet de Vienne de céder aux promesses et aux obsessions dont il allait être l’objet, était de lui prouver par un acte éclatant que l’Angleterre était résolue enfin à agir même seule, et qu’il n’y avait pas lieu pour l’Autriche de sacrifier inconsidérément ses intérêts, lorsqu’il dépendait d’elle d’obtenir l’appui d’une grande puissance. Lord Beaconsfield fit donc décider par le conseil, convoqué d’urgence, que les réserves de l’armée active seraient appelées sous les armes, et que l’autorisation de faire cet appel serait sans retard demandée au parlement. Cette résolution du cabinet anglais, en même temps qu’elle déterminait la retraite, depuis longtemps souhaitée, de lord Derby, a produit immédiatement tous les fruits, qu’on en devait attendre. Certain du bon vouloir de l’Allemagne et rassuré par la hardiesse avec laquelle l’Angleterre s’engageait à fond, le cabinet de Vienne n’a pas hésité à maintenir sa manière de voir au sujet du traité de San-Stefano, à en repousser certaines stipulations et à revendiquer sur toutes le droit d’examen de l’Europe. La mission du général Ignatief a donc échoué. Ce seul résultat suffirait à justifier la résolution prise par le cabinet anglais : cette résolution était d’ailleurs commandée par les incidens qui se produisaient sur les rives du Bosphore. Sous prétexte que la rade de San-Stefano est trop exposée aux coups de vent du sud, les généraux russes annoncèrent que la garde russe s’embarquerait pour Odessa à Buyuk-Déré, et ils acheminèrent immédiatement quelques régimens dans cette direction. Buyuk-Déré est situé au point où le Bosphore est le plus resserré. Les batteries qui défendent le détroit ne sont fortifiées que du côté de la mer, rien ne pouvait donc empêcher les Russes de s’établir fortement sur ce point. Aucun bâtiment de transport n’était arrivé ; aucun même n’était annoncé. Il était évident que les Russes, qui pouvaient aller, quelques lieues plus loin, s’embarquer au port de Bourgas sur la Mer-Noire, avaient voulu en réalité se saisir du point le plus important du Bosphore, et se ménager le moyen, en s’emparant des batteries turques, d’empêcher l’entrée d’une flotte anglaise dans la Mer-Noire, au cas où une rupture éclaterait entre les deux puissances. Une protestation très vive des autorités turques obligea les généraux russes à ramener leurs troupes dans leurs anciennes positions : ils déclarèrent alors qu’ils