Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme j’ai de Racine assuré la mémoire
Et placé son génie au temple de la gloire.
J’offre les mêmes soins aux esprits délicats
Qui dans la même route iront d’un même pas.


Mais quoi! la muse elle-même peut-elle susciter aisément de pareils poètes? Corneille, Racine, ne sont-ce pas de rares élus parmi tant d’appelés? C’est à peine s’il en paraît deux ou trois pendant tout un siècle. Melpomène revient ici à ce gémissement dont je parlais plus haut, elle pleure la disparition des maîtres, la vieillesse de celui-ci, le découragement de celui-là. Non, le ciel ne prodigue pas de telles grâces. Les Corneille ne succèdent pas si promptement aux Corneille, les Racine ne continuent pas si naturellement les Racine. Elle se sent isolée, la grande muse, et si elle essayait de se faire illusion, le deuil de sa sœur lui rappellerait la vérité. C’est là que l’auteur a placé ces beaux vers, les plus touchans, disais-je, que le XVIIe siècle ait consacrés à la mémoire de Molière :

Depuis combien de temps la fidèle Thalie
Dans un habit lugubre est-elle ensevelie,
Le front ceint de cyprès, les yeux baignés de pleurs,
Sans qu’un autre Molière apaise ses douleurs?
Dans les siècles passés, comme au siècle où nous sommes,
La nature était lente à faire de grands hommes,
Et l’aimable Thalie a longtemps à pleurer,
Avant que son malheur se puisse réparer.


N’est-ce pas là un vrai cri du cœur, un cri d’artiste et d’honnête homme? Et quel est donc ce poète qui parlait si noblement des maîtres, qui rendait de tels hommages à Corneille vieilli, à Racine insulté, à Molière disparu pour toujours? Ce gardien de nos gloires, — on ne le devinerait pas assurément, si je n’avais été obligé de l’indiquer par avance, — ce gardien et ce défenseur de nos gloires poétiques, c’est un des personnages les plus décriés à cette date parmi les écrivains du XVIIe siècle; il se nommait Boursault.

Maintenant de l’année 1678 reportez-vous, je vous prie, quinze années en arrière. Nous sommes en 1663. Molière écrit l’Impromptu de Versailles pour continuer à se venger de ceux qui ont attaqué injurieusement l’École des femmes. Il les a déjà fustigés dans la Critique de l’École des femmes, il revient à la charge dans l’Impromptu, toute une série de nouveaux incidens ayant irrité sa verve. Molière fait répéter à ses camarades la petite comédie improvisée. « Premièrement, leur dit-il, figurez-vous que la scène est dans l’antichambre du roi, car c’est un lieu où il se passe tous les jours des scènes assez plaisantes. Il est aisé de faire venir là toutes