Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/702

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

opérations, de signaler les fautes commises, d’insinuer que tout irait mieux si on daignait le consulter. Combien de fois n’a-t-il pas dû envier le bonheur du grand Frédéric qui faisait en personne sa diplomatie et qui gagnait lui-même aussi ses batailles ! On a dit que la campagne d’Italie de 1859 avait été la guerre du soldat ; M. de Bismarck porte le même jugement sur la campagne de 1870. « Ce n’est pas le commandement, disait-il la veille de Noël, qui chez nous commence et dirige les batailles ; ce sont plutôt les troupes elles-mêmes. On se croirait au temps des Grecs et des Troyens. Deux sentinelles se disent des sottises, elles en viennent aux coups, elles dégainent, d’autres accourent, dégainent aussi, et il en résulte une bataille. D’abord les avant-postes se fusillent sans nécessité ; si cela va bien, d’autres s’avancent, un sous-officier amène son peloton, après quoi arrive un lieutenant avec un peu plus d’hommes, puis le régiment, et enfin le général avec tout ce qu’il a sous la main. Ce fut ainsi que s’engagea la bataille de Gravelotte, qui à proprement parler ne devait avoir lieu que le 19. » Qu’aura pensé M. de Moltke de cette irrévérencieuse affirmation ? Avoir inventé un punch incomparable, c’est bien quelque chose ; mais un grand maître en stratégie peut-il admettre qu’on l’accuse d’avoir gagné malgré lui la bataille de Gravelotte et qu’on le somme de partager sa gloire avec « sa sacrée majesté le hasard ? »

On a prétendu qu’il y avait eu des divergences d’opinion entre M. de Bismarck et le parti militaire touchant les agrandissemens que devait réclamer l’Allemagne en traitant de la paix. On a répété plus d’une fois que les appétits de conquêtes du grand état-major avaient paru excessifs au chancelier, qu’il s’était efforcé de les modérer, qu’il lui répugnait de mettre la main sur une province de langue française et qu’il avait blâmé l’annexion de Metz. Voilà encore une légende que M. Busch a détruite, et les explications qu’il nous donne sur ce point sont aussi intéressantes que décisives. Il nous apprend que dès le lendemain des premières victoires M. de Bismarck savait ce qu’il demanderait, et que le 4 septembre il disait : « L’Alsace toute seule est une idée de professeur. « Il nous apprend encore que le 28 août le chancelier lui fit écrire un article dans lequel il était déclaré qu’en 1814 et en 1815 le vainqueur avait négligé d’affaiblir la France autant que l’exige l’intérêt de la paix du monde, et que « le minimum que pût revendiquer l’Allemagne était Strasbourg et Metz, deux forteresses indispensables à sa sûreté. » Le journal de M. Busch en fait foi, il n’y eut jamais entre M. de Moltke et M. de Bismarck le moindre désaccord en matière d’annexions. Les ressentimens du chancelier contre les généraux provenaient d’une autre cause. Il se plaignait avec amertume qu’enflés par leurs succès, ces messieurs en usaient cavalièrement avec lui, que non-seulement ils ne songeaient pas à le consulter, mais qu’ils ne daignaient pas même le renseigner, qu’il en était réduit à mendier les informations. « Les ingrats !