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Cela revenait assez fréquemment ; ils se connaissaient beaucoup, se racontaient toute leur vie. Peut-être s’aimaient-ils. Jamais ils n’en avaient rien dit.

Thilda devenait une vieille fille ; elle avait vingt-quatre ans, et la fatigue de son horrible métier lui donnait des marques visibles d’épuisement. Avec cela une éternelle tristesse dans ses yeux noirs profonds. Elle vivait pour vivre, parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement, mais avec quelle amertume contre la destinée ! Elle ressentait toutes les ardeurs de la femme, tous ses besoins, toutes ses souffrances pudiques quand l’heure d’amour a sonné, et c’était pour vieillir seule, ignorée, entre les quatre murs d’une école, parce qu’elle était pauvre. Son teint prenait des pâleurs de cierge, ses yeux se creusaient, les coins de sa bouche un peu épaisse s’abaissaient dans une expression de douleur et de dégoût.

Cependant, le dimanche, quand elle conduisait à la messe son bataillon de fillettes, on se retournait et les hommes cherchaient à se faire remarquer de la jolie institutrice si élégante dans ses vêtemens pauvres. Elle portait sa robe de laine avec une distinction rare, et comme la marche et la confusion coloraient ses joues, elle paraissait absolument belle.

Plus d’un disait en la suivant des yeux :

— Quel dommage !

Et la pauvre fille s’en allait admirée, désirée, mais traînant après elle sa pauvreté comme une infamie qui la condamnait à une solitude éternelle. Elle s’appelait Mlle Ferrière ; elle était orpheline.

Angelo savait tout cela, toutes ses peines les plus intimes. Lui aussi n’avait pas de famille, même pas de nom. Ils se comprenaient et se consolaient rien qu’en regardant longuement, lui les yeux noirs de Thilda, elle les jolies lueurs bleues qui rayonnaient dans les prunelles d’Angelo.

Le soir de cette journée qui avait amené les émotions de tante Madeleine, celle-ci, après le dîner, appela son neveu et se fit suivre dans la chambre d’Angelo tout en haut. Elle parlait mal, ayant la gorge serrée, et le cœur lui battait.

— Ferme la porte, approche. Qu’est-ce que c’est que ça ?

Elle lui mit sous le nez l’épingle d’or. Il ouvrit la bouche, ébahi et décontenancé.

— Tais-toi. Ne vas pas mentir. Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Ma tante,… balbutia Angelo.

— Ce n’est pas vrai, cria Madeleine, tu as trouvé cela chez une drôlesse… Veux-tu te taire, méchant garnement !

Angelo se dressa comme un petit serpent.

— Une drôlesse, criait-il affolé d’indignation, elle, elle !… Rendez-moi cette épingle, ma tante, ou bien…